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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

brelande et son fils furent chargés et accusés, ils furent généralement et publiquement bannis du royaume d’Angleterre à non retourner jusques au rappel du roi. Et fut celle ordonnance publiée par toutes les cités du royaume d’Angleterre et par espécial à Londres, dont les Londriens furent émerveillés. Et ne pouvoient savoir ni connaître justement pour quel cas c’étoit fait ; car ils tenoient le comte de Northonbrelande et messire Henry, son fils, pour si vaillans et prud’hommes que nuls qui fussent au royaume d’Angleterre. Donc dirent les aucuns qui imaginoient le fait, en parlant et devisant l’un à l’autre : « Celle haine et rancune vient du conseil du roi, lequel le détruira. Espoir le comte de Northonbrelande et messire Henry, son fils, ont parlé trop avant sur le conseil du roi et sur son fol gouvernement ; et vérité ne peut être ouïe. Si convient que les gentils chevaliers le comparent ; et après le compareront ceux qui présentement les jugent. »

Ainsi parloient les Londriens. De l’ennui et contraire au comte de Northonbrelande et de son fils furent généralement parmi le royaume d’Angleterre toutes gens courroucés. Et en parlèrent diversement la plus saine partie sur le roi et son conseil. Le comte de Northonbrelande, lequel étoit le plus grand de son pays, et grand et fort de lignage et d’avoir, et qui avoit encore à frère ce vaillant chevalier Thomas de Percy, lequel de long-temps avoit fait de beaux services au roi et au royaume d’Angleterre, quand il sçut les nouvelles comment on l’avoit banni, il tint ce fait et ce cas à déraisonnable ; et manda en Northonbrelande tous ses amis que pour présent il en put avoir et assembler ; car plusieurs de son lignage étoient encore en la compagnie et chevauchée du roi, si ne le pouvoient laisser. Et toutes fois, messire Thomas Percy, frère du dit comte, vint, et messire Thomas, son neveu, fils au comte, duquel messire Thomas de Perccy, frère au comte, vouloit faire son héritier. Quand ils furent venus, le comte se conseilla à savoir à eux comment il se maintiendroit de ce blâme que le roi lui faisoit sans cause. Il fut conseillé que on envoyeroit au royaume d’Escosse prier au roi que à lui et à son fils il leur voulsist prêter terre et manoir, pour eux tenir un temps si la besogne touchoit, tant que les choses seroient retournées à leur droit et le roi apaisé. Ce conseil fut tenu. On envoya en Escosse devers le roi et les barons sur la forme que dit vous ai. Le roi Robert d’Escosse et le comte Archambaut Douglas et les barons d’Escosse qui pour ce temps régnoient, descendirent légèrement et volontiers à la prière du comte de Northonbrelande et de son frère qui en parloient pour eux ; et leur mandèrent que eux et leur pays étoient tous appareillés d’eux recueillir ; et s’il leur convenoit cinq ou six cents lances, ils les auroient sur heure, mais qu’ils en fussent signifiés. Celle réponse plut grandement au comte de Northonbrelande et à son lignage, et demeura la chose en cel état, et le dit comte en son pays entre ses amis ; car le roi Richard et ceux qui le conseilloient eurent tant à faire sus briefs jours qu’ils n’eurent loisir d’entendre au comte de Northonbrelande ni à lui dire : « Vous viderez Angleterre ou nous vous le ferons vider de fait. » Mais les convint cesser et perdre tous leurs propos, ainsi que vous orrez recorder brièvement en l’histoire.

Le roi Richard d’Angleterre étant en la marche de Bristol et tenant ses états, les hommes généralement parmi Angleterre se commencèrent fort à émouvoir et élever l’un contre l’autre. Et étoit justice close par toutes les cours d’Angleterre, dont les vaillans hommes les prélats et les paisibles qui ne vouloient que paix, simplesse et amour, et payer ce qu’ils devoient, se commencèrent grandement à ébahir ; car ils commencèrent à eux mettre sus une manière de gens par plusieurs routes et compagnies qui tenoient les champs. Et n’osoient les marchands chevaucher ni aller en leurs marchandises pour doute d’être dérobés ; et ne s’en savoient à qui plaindre qui leur en fit droit, raison ni justice. Lesquelles-choses étoient moult préjudiciables et déplaisans à toutes gens en Angleterre, et hors de leur coutume et usage, car au royaume d’Angleterre toutes gens, marchands et laboureurs, ont appris de vivre en paix et amener leurs marchandises paisiblement ; et les laboureurs de leurs terres vivre aussi aisément et largement, selon ce que la saison ordonne et donne, et on leur faisoit tout le contraire.

Premièrement, quand les hommes alloient de ville en autre faire leurs marchandises, si ils portoient or ou argent, on leur ôtoit en leurs bourses et n’en avoient autre chose. Aux labou-