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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

À cette povre fin vint Betisac. Ainsi fut le peuple vengé de lui, car au voir dire il leur avoit fait moult d’extorsions et de grands dommages depuis qu’il eut en gouvernement les marches de Languedoc.

CHAPITRE VIII.

Comment, le roi de France, lui étant à Toulouse, manda le comte de Foix, et comment le dit comte y vint ; et comme grandement ; et comment il fit hommage au roi de France de la comté de Foix.


Après celle crueuse justice, le roi de France ne séjourna pas longuement à Beziers, mais s’en départit avec tout son arroy et prit le chemin de Carcassonne. Et toujours depuis Avignon avoit chevauché ; et chevauchoit encore son maréchal messire Louis de Sancerre. Tant chevaucha le roi par ses journées en visitant le pays, car il n’alloit pas les droits chemins, que il fut à Cabestain et à Narbonne, à Lymous, et à Mont-Royal, et à Fougans ; et de là retourna à Carcassonne et s’y tint quatre jours ; et puis s’en partit et passa Ville-Franche, Avignolet et Montgiscard, et vint à Toulouse. Les bourgeois de Toulouse, qui grandement le désiroient à voir et à avoir de-lez eux, le recueillirent liement, et issirent tous hors de la ville vêtus d’une parure ; et fut à grand’solemnité amené et convoyé au châtel de Toulouse qui est grand, beau et fort, et sied sur un détroit à l’entrée de Toulouse. Ceux de Toulouse, qui est cité riche et notable, firent au roi à sa bien-venue plusieurs beaux présens, et tant que le roi s’en contenta grandement. Quand le roi eut là été et séjourné trois jours et il se fut rafreschi, fut dit et conseillé que il manderoit le comte de Foix, lequel étoit issu de Béarn et venu en la comté de Foix, et se tenoit en une ville que on dit Massères à quatorze lieues près de la cité de Toulouse, car de l’état et de l’ordonnance du roi il étoit tout informé. Si furent ordonnés pour l’aller quérir le maréchal de France et le sire de la Rivière, lesquels partirent un mercredi après boire, et vinrent gésir à une ville assez bonne en Toulousain, que on dit Lille-Jourdain, et à lendemain, à heure de dîner, ils vinrent à Massères. Le comte de Foix qui bien savoit leur venue les recueillit doucement et liement pour l’amour du roi ; et aussi il les connoissoit assez, car autrefois les avoit-il vus. Messire Louis de Sancerre porta la parole et dit : « Monseigneur de Foix, notre très cher sire le roi de France yous mande par nous que vous le veuilliez venir voir à Toulouse, ou il se travaillera tant qu’il vous viendra voir en votre pays et moult vous désire à voir. » Le comte de Foix répondit : « Messire Louis, je ne veuil pas que le roi de France ait ce travail pour moi ; mieux appartient que je l’aie pour lui. Si lui direz ainsi de par moi, s’il vous plaît, que je serai là à Toulouse, dedans quatre jours. » — « C’est bien, répondirent les chevaliers ; nous retournerons et lui dirons ces nouvelles de par vous. » — « Voire, dit-il, hardiment ; mais vous demeurerez meshuy de-lez moi ; et vous tiendrai tous aises, car je vous vois volontiers ; et de matin vous vous mettrez au retour. »

Les chevaliers obéirent et demeurèrent de-lez le comte de Foix ce jour et la nuit, car moult y étoient à plaisance ; et devisa à eux de plusieurs choses, car il étoit sage et bien enlangagé et de beau parler, et trop bien savoit attraire en parlant à un homme quel qu’il fût, selon son état, tout ce qu’il avoit dedans le cœur.

Ils prirent congé au comte de aller coucher pour retourner à lendemain, et le comte à eux. Au bon matinet ils partirent et chevauchèrent tant, que ce jour, il m’est avis, ils retournèrent à Toulouse, et trouvèrent le roi jouant aux échecs à son oncle le duc de Bourbon. Il leur demanda tout haut : « Or avant, des nouvelles ! Que dit ce comte de Foix ? voudra-t-il venir ? » — « Oyl, sire, répondit le sire de la Rivière ; il a très grand’affection de vous voir, et sera ci devers vous dedans quatre jours. » — « Or bien, dit le roi, nous le verrons volontiers. »

Les deux chevaliers se départirent du roi et le laissèrent jouant ; et allèrent souper et eux aiser, car ils avoient chevauché une grand’journée. Le comte de Foix, qui demeuré étoit à Massères, ne mit pas en oubli le voyage que il devoit faire, mais se pourvéy très grandement ; et étoit jà tout pourvu, car bien savoit la venue du roi ; et envoya devant à Toulouse faire ses pourvéances grandes et grosses, ainsi comme à lui appartenoit ; et avoit mandé chevaliers et écuyers de Béarn plus de deux cents pour lui servir et accompagner en ce voyage.

Au jour que le comte de Foix avoit mis et assigné, il entra en la cité de Toulouse à plus de six cents chevaux, bien accompagné de chevaliers et d’écuyers, et tous à sa délivrance ; et étoient de-lez lui le vicomte de Bruniquiel et