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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

Et quand ce vint au jour, après soleil levant, l’évêque de Durem étoit retrait à son hôtel, et messire Jean de Say au sien, et tous les autres, et messire Mathieu Rademen qui étoit rentré en la ville un petit devant ce que l’évêque fût retourné, si que, pourtant que il étoit prisonnier, il se désarma et revêtit autres draps ; et quand au jour il sçut que l’évêque étoit à son hôtel, il s’en alla celle part pour voir l’évêque. Quand il entra en l’hôtel de l’évêque, il encontra un écuyer qui s’appeloit Richard de Hebedon, lequel lui dit des nouvelles de son maître, et comment il étoit prisonnier à l’évêque ; et lui conta toute la manière comment il étoit venu et chu sur eux.

De ces nouvelles fut grandement émerveillé messire Mathieu Radmen ; et requit à l’écuyer qu’il le pût voir. Richard le mena en la chambre où il étoit. Bien se connoissoient les deux chevaliers quand ils se virent au jour, car plusieurs fois ils s’étoient vus sur les frontières et sur marche de pays. Si se conjouirent, et se festoyèrent grandement de paroles, et dit ainsi le chevalier anglois : « Par ma foi ! je ne cuidois pas jà ici trouver mon maître messire Jacques de Lindesée. » Répondit l’Escot : « Il n’est aventure qui n’advienne. Je cuidois pour la nuit passée avoir assez gagné, mais non ai. »

Adonc lui recorda-t-il toute l’aventure, ainsi comme allé avoit, et comment il perdit son chemin, et rien n’en savoit, et cuida être à Otebourch entre ses gens, et se trouva de-lez le Neuf-Chastel entre ses ennemis. Et dit messire Mathieu Rademen : « Vous ferez ici, comme il appert, votre finance à monseigneur de Durem, et je ferai la mienne à vous. » — « Il se taille bien de faire ainsi, ce répondit messire Jacques de Lindesée. »

Trop étoit courroucé et mélancolieux, et, bien le montroit, l’évêque de Durem, de ce que le soir d’avant, sans point d’arrêt, sitôt comme il fut venu au Neuf-Chastel, il ne se départit et ne s’en fût allé à Otebourch conforter les siens, et imaginoit bien lui-même que on en parleroit vilainement sur sa partie ; et manda en son hôtel, tous les chevaliers et écuyers et gentils hommes qui là étoient ; grand’foison de vaillans gens n’y avoit pas ; et leur dit son entente ; « Seigneurs, nous serons déshonorés à toujours mais, si nous n’allons voir les Escots. J’ai entendu qu’ils sont encore à Otebourch. Il n’y a que six petites lieues d’ici ; nous aurons gens assez pour eux combattre, ceux qui sont retournés celle nuit et ce matin de la déconfiture ; je ferai un commandement que tous partent avec nous, à pied et à cheval, sus à perdre le royaume d’Angleterre et sans rappel. » — « Nous le voulons bien, répondirent ceux qui là étoient. Voirement recevrons-nous grand blâme, si nous ne nous acquittons point autrement. » Ce conseil fut tenu de tantôt et sans délai partir. Trompettes pour aller aux armes furent sonnées parmi la ville de Neuf-Chastel ; et fut un commandement fait, de par l’évêque, et sur la tête, que tous se partissent et que nul ne demeurât derrière. Tous se départirent, à cheval et à pied, et vuidèrent le Neuf-Chastel ; et se mirent aux champs ; et se trouvèrent bien dix mille hommes ou là environ.

Les nouvelles vinrent aux Escots, par les écoutes et les leurs qu’ils avoient sur les champs, que les Anglois venoient et approchoient et se recueilloient.

Quand les barons et les chevaliers d’Escosse, qui à Otebourch étoient logés et arrêtés, entendirent ces nouvelles, si se mirent les plus sages et les mieux usés d’armes ensemble pour avoir conseil. Là y eut plusieurs paroles retournées. Mais tout considéré, conseillé fut entre eux que ils demeureroient et que ils attendroient l’aventure là, et que ils ne se pouvoient traire ni trouver en meilleure place ni plus forte, au cas que ils avoient grand’foison de prisonniers ; si ne les pouvoient pas mener avec eux fors à leur aise ; et si en avoit grand’foison de blessés des leurs et de leurs prisonniers aussi ; et ne les vouloient pas laisser derrière. Aussi faisoit-il jour grand et bel ; et si véoient autour d’eux et au loin d’eux.

Adonc se recueillirent-ils tous ensemble comme gens de grand avis et de grand fait, et s’ordonnèrent par telle ordonnance et si bonne, que on ne pouvoit entrer ni venir sur eux fors que sur un seul pas ; et mirent tous leurs prisonniers d’un lez ; et firent tous leurs varlets, pages et garçons armer ; car ils avoient armures à planté de leurs ennemis qu’ils avoient déconfits. Et tout ce firent-ils pour montrer à leurs ennemis que ils fussent plus de peuple que ils n’étoient. Or firent fiancer leurs prisonniers, dont ils avoient grand’foison de chevaliers et écuyers, que, rescous ou non rescous, ils demeureroient leurs prisonniers. Après tout ce firent-ils corner