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LIVRE III.

et fiéfés, et lui firent et jurèrent foi et hommage à tenir à perpétuité. Après, les comtes et barons lui jurèrent ; et aussi les prélats, et ceux qui tenus étoient de relever ; et baisoient, par foi et hommage, leurs mains jointes, ainsi comme il appartient, le roi en la bouche. Là véoit-on bien au baiser, lesquels le roi baisoit de bonne volonté, et lesquels non ; car quoi qu’il le fît, tous n’étoient pas en son amour ; mais faire le lui convenoit ; car il ne vouloit pas issir du conseil de ses oncles. Mais bien sachez, que si il eût pu autant dessus eux que pas ne pouvoit, il n’en eût rien fait ; mais eût pris cruelle vengeance de la mort de messire Simon Burlé et de ses autres chevaliers qu’on lui avoit ôtés et fait mourir, et sans desserte[1]. Là fut ordonné, du conseil du roi, que l’archevêque d’Yorch seroit mandé, et se viendroit purger des œuvres qu’il avoit faites, au conseil général ; car on disoit qu’il avoit toujours été de la partie, faveur et conseil du duc d’Irlande, à l’encontre les oncles du roi. Quand les nouvelles furent venues à l’archevêque d’Yorch, il se douta, car point ne se sentoit bien en la grâce ni amour des oncles du roi ; et s’envoya excuser par un sien nepveu, fils au seigneur de Neufville ; lequel s’en vint à Londres, et se trait, tout premièrement, devers le roi ; et lui remontra l’excusance de son oncle l’archevêque ; et lui fit hommage, ainsi comme il appartenoit, au nom de l’archevêque. Le roi tint tout à bon, car il aimoit assez l’archevêque, plus que celui de Cantorbie ; et lui-même l’excusa et porta outre au conseil, car autrement il eût mauvaisement finé ; mais pour l’amour et honneur du roi on se dissimula ; et fut bien excusé ; et demeura en son archevêché. Mais un grand temps il ne s’osa tenir en la cité d’Yorch ; ainçois se tenoit au Neuf-Chastel, sur la rivière de Tin, près des chastels de son frère le sire de Neufville, et de ses cousins.

Ainsi demourèrent les besognes d’Angleterre en leur état : mais depuis le roi, un long temps, ne fut pas maître ni souverain dessus son conseil, ainçois l’étoient ses oncles, et les barons et les prélats dessus nommés.

Nous nous souffrirons, pour l’heure présente, un petit à parler des besognes et affaires du roi et du royaume d’Angleterre : et parlerons de celles de Portingal et de leurs guerres.

CHAPITRE LXXXII.

Comment le roi de Portingal et le duc de Lancastre assemblèrent leurs puissances ensemble ; et comment, ne pouvant passer la rivière de Deure, un écuyer de Galice, prisonnier de guerre, leur enseigna le gué.


C’est raison, et la matière le requert, que je retourne à la chevauchée et armée du duc de Lancastre, et comment elle se porta et persévéra en celle saison en Galice. Je la reprendrai où je la laissai, car j’ai grand désir de la continuer et mettre à chef, et conter comment elle se fit.

Quand le duc de Lancastre et ses gens eurent conquis la ville et le chastel d’Aurench en Galice et mis en leur obéissance, ils se rafreschirent quatre jours, car ils y trouvèrent bien de quoi, et puis au cinquième jour s’en partirent : et dirent qu’ils vouloient venir devant le chastel de Noye, si comme ils firent : et se logèrent quatre jours en une grande prairie, au long d’une rivière : mais la prairie étoit jà toute sèche, pour la chaleur du soleil, qui étoit si grande que l’eau en étoit toute corrompue qui étoit là près, et tant que les chevaux n’en vouloient boire : et ceux qui en buvoient mouroient. Adoncques fut ordonné de déloger et de retourner à Aurench, et là tenir sur celle marche. « C’est impossible, ce dirent les maréchaux, messire Richard Burlé et messire Thomas Moraux, de prendre ce fort chastel de Noye, si ce n’est par trop long siége, et par un grand sens et avis, et par force engin et grand’foison d’atournemens d’assaut. » Et aussi nouvelles vinrent là au duc de Lancastre, que le roi de Portingal approchoit, à tout son ost où bien avoit trois mille lances et dix mille hommes tous aidadables : si que, ces deux osts mis ensemble, ils étoient bien taillés de faire un grand fait ; car le duc de Lancastre avoit bien environ quinze cens lances, chevaliers et écuyers, et six mille archers.

Ces nouvelles réjouirent grandement le duc de Lancastre : et se délogèrent un jour de devant Noye où ils n’avoient rien fait, et s’en vinrent à Aurench en Galice. Là furent mandées la duchesse de Lancastre et les dames, car le duc disoit que là attendroit-il le roi de Portingal, si

  1. Sans qu’ils le méritassent ; du mot desservir, mériter.