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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

rent de toutes les routes bien les six parts. Mais nous demeurâmes derrière, messire Seguin de Batefol, messire Jean Jouel, messire Jacqueme Planchin, Lamit, messire Jean Aymery, le Bourg de Pierregort, Espiote, Loys Rambaut, Lymosin, Jacques Tiriel, moi et plusieurs autres. Et tenions Eause, Saint-Clément, la Berelle, la Terrasse, Brignay, le Mont-Saint-Denis, l’Hospital de Rochefort et plus de soixante forts, que en Masconnois, en Forez, en Bellay, en la basse Bourgogne et sur la rivière de Loire. Et rançonnions tout le pays ; ni on ne pouvoit être quitte de nous, ni pour bien payer ni autrement. Et prîmes de nuit la Charité sur Loire et la tînmes bien an et demi. Et étoit tout nôtre dessus Loire jusques au Puy en Avergne, car messire Seguin de Batefol avoit laissé Eause et tenoit la Brioude en Auvergne, où il ot de profit ens ou pays cent mille francs, et dessous Loire jusques à Orléans, et aussi toute la rivière d’Allier. Ni l’archiprêtre, qui étoit capitaine de Nevers et qui étoit lors bon François, n’y savoit ni ne pouvoit remédier, fors tant que il connoissoit les compagnons, parquoi à sa prière on faisoit bien aucune chose pour lui. Et fit le dit archiprêtre adonc un trop grand bien en Nivernois, car il fit fermer la cité de Nevers ; autrement elle eût été perdue et courue par trop de fois ; car nous tenions bien en la marche, que villes que chastels, plus de vingt sept. Ni il n’étoit chevalier, ni écuyer, ni riche homme, si il n’étoit apacti à nous, qui osât issir hors de sa maison. Et celle guerre faisions lors au vu et au titre du roi de Navarre. »

CHAPITRE XVI.

Comment plusieurs capitaines anglois et autres gens de Compagnies furent déconfits devant la ville de Sancerre.


« Or vint la bataille de Cocherel[1] dont le captal, pour le roi de Navarre, fut chef ; et s’en allèrent devers lui pour faire meilleure guerre plusieurs chevaliers et écuyers. De notre côté le vinrent servir à deux cens lances, messire Planchin et messire Jean Jouel. Je tenois lors un chastel que on appelle le Bié d’Allier, assez près de la Charité, en allant en Bourbonnois, et avois quarante lances dessous moi. Et fis pour ce teams au pays et en la marche de Moulins moult grandement mon profit, et environ Saint-Poursain et Saint-Père le Moustier.

« Quand les nouvelles me furent venues que le captal, mon maître, étoit en Cotentin et assembloit gens à pouvoir, pour le grand désir que je avois de le voir, je me partis de mon fort à douze lances, et me mis en la route messire Jean Jouel et messire Jacqueme Planchin ; et vînmes sans dommage et sans rencontre qui nous portât dommage devers le captal. Je crois bien que vous avez en votre histoire toute la besogne ainsi comme elle se porta. » — « C’est vérité, dis-je. Là fut pris le captal, et morts messire Jean Jouel et messire Jacqueme Planchin. » — « Il est vérité, répondit le Bascot de Mauléon. Je fus là pris, mais trop bien chey et m’avint ; ce fut d’un mien cousin, et cousin à mon cousin qui ici est, le Bourg de Campane, et l’appeloit-on Bernard de Tarride : il mourut depuis en Portingal en la besogne de Juberot[2]. Bernard, qui lors étoit de la charge messire Aymemon de Pommiers, me rançonna sur les champs et me donna bon conduit pour retourner en mon fort à Bié d’Allier. Sitôt que je fus venu en mon fort, je pris un de mes varlets, et comptai mille francs et lui chargeai ; et les apporta à Paris, et m’en rapporta paiement et lettres de quittance.

« En celle propre saison chevauchoit messire Jean Aymery, un chevalier anglois, le plus grand capitaine que nous eussions. Et s’en venoit côtoyant la rivière de Loire pour venir à la Charité. Si fut rencontré par l’embûche du seigneur de Rougemont et du seigneur de Vodenay et des gens l’archiprêtre : ils furent plus forts de lui, si le ruèrent jus ; et fut rançonné à trente mille francs ; il les paya tous comptans. De sa prise et de seul dommage il ot grand annoy et déplaisance, et jura que jamais ne rentreroit en son fort si les r’auroit reconquis. Si recueillit grand’foison de compagnons et vint à la Charité sur Loire ; et pria aux capitaines, à Lamit et à Corsuelle, au Bourg de Pierregort et à moi qui y étois allé ébattre, que nous voulsissions chevaucher avecques lui. Nous lui demandâmes quelle part ? « Par ma foi, dit-il, nous passerons la rivière de Loire au port Saint-Thi-

  1. En 1364.
  2. Froissart n’a pas encore parlé de la bataille d’Aljubarrote qui précéda son arrivée chez le comte de Foix, mais il en va parler.