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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

car il y avoit plusieurs châteaux et garnisons angloises sur les frontières qui issoient hors et faisoient embûches sur eux ; et les attendoient aux détroits et aux passages ; et quand ils se véoient plus forts que les François fourrageurs n’étoient, ils leur couroient sus et les meshaignoient et occioient, et leur tolloient leurs vitailles ; pourquoi ils ne pouvoient ni osoient chevaucher fors à grands routes.

Tant fut le siége devant Chastillon, et tant fut contrainte par assaut et par engins, que ils ne se purent plus tenir et se rendirent, sauves leurs vies et le leur. Et s’en partirent toutes les gens d’armes qui dedans étoient et qui partir s’en vouloient, et s’en vinrent à Saint-Macaire où il y a forte ville et bon châtel. Quand Chastillon fut rendue, le duc d’Anjou en fit prendre la possession et saisine, et la féauté et hommage de toutes les gens, et y renouvela officiers, et y mit capitaine de par lui, un chevalier de Touraine, qui s’appeloit messire Jaquèmes de Mont-Martin. Au département de Chastillon ils jetèrent leur avis quelle part ils trairoient ; et fut avisé que ils s’en iroient devant Saint-Macaire ; mais il y avoit sur le pays, ainçois que ils pussent venir jusques là, aucuns petits forts qui n’étoient pas bons à laisser derrière pour les fourrageurs ; et s’en vinrent au département de Chastillon mettre le siége devant Sauveterre. Là vinrent autres nouvelles du seigneur de Rosem et du seigneur de Duras, que il n’étoit mie ainsi que on avoit rapporté ; voirement étoient-ils à Bordeaux, mais on ne savoit sur quel traité. Ces nouvelles s’épandirent en l’ost en plusieurs lieux, tant que le sire de Mucident et le sire de Langurant en furent informés et en parlèrent au seigneur de Coucy et à messire Pierre de Beuil, que ils voulsissent les chevaliers aider à excuser, et que c’étoit grand’simplesse de croire paroles volans si légèrement. Ils répondirent que ils le feroient volontiers, et en parlèrent au duc. Et le duc dit que il verroit volontiers tout le contraire de ce qu’il avoit ouï dire : si demeura la chose en cel état, et le siége devant Sauveterre.

La ville de Sauveterre ne les tint que trois jours ; car le chevalier qui sire et capitaine en étoit se rendit au duc, saufs son corps, ses hommes et tout le sien. Parmi tant, ils passèrent outre et vinrent devant Sainte-Bazile, une bonne ville fermée, qui tantôt se rendit et mit en l’obéissance du roi de France, et puis s’en vinrent devant Montségur ; et tantôt qu’ils y furent venus, ils l’assaillirent ; et point ne l’eurent de ce premier assaut. Si se logèrent et rafraîchirent une nuit. À lendemain de rechef ils se mirent en ordonnance pour assaillir ; et quand ceux de la ville virent que c’étoit acertes, si s’ébahirent et se conseillèrent entre eux. Finablement le conseil se porta que ils se rendroient, saufs leurs corps et leurs biens ; et ils furent ainsi reçus ; et puis chevauchèrent outre devant une autre bonne ville fermée qui siéd entre Saint-Macaire et la Riole, et a nom Auberoche ; et là furent-ils quatre jours ainçois qu’ils la pussent avoir. Si se rendirent par traité ceux de la ville et puis vinrent devant Saint-Macaire.


CHAPITRE X.


Comment la ville de Saint-Macaire se rendit françoise, et après le château.


Tous les jours monteplioit l’ost au duc d’Anjou, et lui venoient gens de tous côtés ; car chevaliers et écuyers qui se désiroient à avancer le venoient voir et servir. Si fut mis le siége devant Saint-Macaire, beau et fort et bien ordonné. Et vous dis que là dedans étoient retraits toutes manières de gens d’armes qui étoient partis des garnisons qui rendues s’étoient : si en étoit la ville plus forte et mieux gardée. Si y eut là plusieurs grands assauts et beaux, et faite mainte belle escarmouche devant la ville aux barrières. Adonc fut ordonné du duc d’Anjou et du connétable de France, le siége étant devant Saint-Macaire, que les capitaines et leurs routes chevauchassent le pays, les uns çà et l’autre là. Si se départirent gens d’armes de tous lez : premièrement le maréchal de France à grand’route, le sire de Coucy aussi à grand’route, Yvain de Galles à grand’route, messire Parcevaulx d’Aineval Normand, et Guillaume de Montcontour à grand’route. Si demeurèrent ces gens d’armes six jours sur les champs ; et prirent plusieurs villes et petits forts, et mirent tout le pays de là environ en leur subjection et en l’obéissance du roi de France : ni nul ne leur alloit au devant ; car le pays étoit tout vuide et dépourvu de gens d’armes de la partie des Anglois ; et s’en alloient les fuyans devers Bordeaux.