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le sein de l’être à qui elle appartient. L’âme humaine, comme toutes les autres forces limitées de ce monde, n’est qu’une monade isolée en ellemême, mais au sein de laquelle la création entière se réfléchit, et dont la divine sagesse a coordonné à l’avance tous les mouvements avec le mouvement harmonieux de l’univers. Voy. Leibniz.

4° Selon la doctrine de Kant, la notion de cause et le principe de causalité existent bien dans notre esprit ; mais ils ne sont que de simples formes de notre entendement, ou les conditions toutes subjectives de notre pensée. Tous les objets que notre imagination nous représente, tous les phénomènes que l’expérience nous découvre, nous sommes obligés, en vertu d’une loi ou d’une forme préexistante dans notre intelligence, de les disposer selon le rapport de cause à effet ; mais nous ne savons pas s’il existe réellement, indépendamment de notre intelligence, quelque chose qui ressemble à une cause, à une force, à une puissance effective (Critique de la raison pure, Analytique transcendantale).

5" Enfin, Maine de Biran est le premier qui, par une analyse approfondie des faits volontaires, ait trouvé dans la conscience la véritable origine de la notion de cause. Mais en même temps il méconnaît les caractères et attaque sans le savoir la valeur objective du principe de causalité, lorsqu’il cherche à l’expiiquer par l’expérience seule, aidée de l’induction, par une sorte d’ha­bitude que nous aurions prise d’étendre à tous les faits en général la relation permanente que nous observons en nous-mêmes entre l’acte vo­lontaire et la cause personnelle dont il est l’effet (Nouvelles considérations sur les rapports du physique et du moral de l homme, in-8, Paris, 1834, p. 274-290 ; 363-402).

La meilleure critique de la théorie de Locke, c’est la théorie de Hume, et la réfutation que Locke en a donnée lui-même, lorsqu’il démontre avec un rare talent d’observation que la notion de pouvoir, c’est-à-dire cette même notion de cause dont ailleurs il fait honneur à l’expérience des sens, a son origine dans la conscience de nos propres déterminations (Essai sur l’entende­ment humain, liv. II, ch. xxi).

La théorie de Hume se réfute d’elle-même:aucun homme dans la jouissance de son bon sens n’oserait la prendre au sérieux. Elle est cependant d’une grande valeur dans l’histoire de la philo­sophie, mais à un point de vue purement critique, comme moyen de dévoiler tout le vide et le danger du sensualisme dont elle est la légitime conséquence.

A la doctrine de Kant et à celle de Leibniz, en ce qu’elle a. de faux, il suffit d’opposer le témoignage irrécusable de l’expérience et de l’intuition directe. Avec la conscience que nous avons de disposer à notre gré de nos corps, comment soutenir qu’une cause est sans influence sur une autre, qu’entre l’âme et le corps il n’y a qu’un rapport d’association et non de dépen­dance ? Comment aussi la notion de cause seraitelle une pure forme de la pensée, une forme abstraite à laquelle ne répond aucune réalité, quand cette notion nous est donnée précisément dans un fait, dans un acte immédiatement connu et produit par nous-mêmes, dans un des phéno­mènes les plus certains qui puissent nous être attestés par l’expérience ? L’idéalisme subjectif est renversé de fond en comble par les solides observations de Maine de Biran. Quant à ce dernier, nous avons déjà comblé la lacune qui reste dans sa théorie, en montrant précédemment la part de la raison aans le principe de causalité, et l’impuissance de l’induction à tirer d’un fait entièrement personnel une croyance universelle· et nécessaire.

Consultez sur le sujet de cet article, outre les ouvrages déjà cités plus haut, les Œuvres com­plètes de Reid, traduction de Jouffroy, 6 vol. in-8, Paris, 1828-1836, t. IV, p. 273, t. V, p. 319 et suiv.; et une excellente leçon de M. Cousin, dans son Cours de philosophie de 1829.

CAUSES FINALES. Nous avons fait connaître dans l’article précédent l’origine de cette expres­sion, et le sens qu’il faut y attacher en général. Ici nous voulons parler de la méthode qui con­siste à déterminer les causes et les lois des phé­nomènes de la nature, par les diverses fins aux­quelles nous les voyons concourir, par le but qu’ils atteignent, ou dans l’ensemble des choses, ou dans l’économie particulière de chaque être. C’est à ce titre que les causes finales ont vivement préoccupé les philosophes les plus éminents des temps modernes. Bacon en proscrit l’usage sans restriction. Tout le monde connaît ces paroles, encore plus ingénieuses que vraies, et devenues plus tard un axiome aux yeux du xvme siècle:« La recherche des causes finales est stérile, et, comme ces vierges consacrées au Seigneur, ne portent aucun fruit. » (De Augment. scientia­rum, lib. III, c. v.) Descartes ne se montre pas moins sévère à l’égard de ce procédé si cher à quelques philosophes de l’antiquité, et surtout à ceux du moyen âge ; il le regarde comme puéril et absurde en métaphysique, et sans aucun usage dans les sciences naturelles. « Il est évident, ditil, que les fins que Dieu se propose ne peuvent être connues de nous que si Dieu nous les révèle, et quoiqu’il soit vrai de dire, en considérant les choses de notre point de vue, comme on le fait en morale, que tout a été fait pour la gloire de Dieu,… il serait cependant puéril et absurde de soutenir en métaphysique que Dieu, semblable à un homme exalte par l’orgueil, a eu pour unique fin, en donnant l’existence à l’univers, de s’attirer nos louanges, et que le soleil, dont la grosseur surpasse tant de fois celle de la terre, a été créé dans le seul but d’éclairer l’homme, qui n’occupe de cette terre qu’une petite partie. » (Partie philosophique des Lettres de Descartes, dans l’é­dition de ses œuvres, publiée par M. Garnier,

  1. vol. in-8, Paris, 1835, t. IV, p. 260.Voy. aussi dans la même édition le tome I, p. 138.) Leibniz, au contraire, en proclamant le principe de la rai­son sulfisante, est venu relever les causes finales, dont l’emploi ne lui paraît pas moins légitime dans les sciences naturelles qu’en métaphysique. Par exemple, c’est parce que la Providence agit nécessairement par les voies les plus simples et les plus courtes, qu’un rayon de lumière, dans un même milieu, va toujours en ligne droite, tant qu’il ne remontre pas d’obstacle; c’est par la même raison que, rencontrant une surface so­lide, il se réfléchit de manière que les angles d’incidence et de réflexion soient égaux (Acta eruditorum, 1682). Pour nous, nous n’admettons ni l’une ni l’autre de ces deux opinions extrêmes:nous reconnaissons avec Bacon et Descartes qu’il faut observer les phénomènes, de quelque ordre u’ils soient, sans préoccupation, sans aucun essein de les faire entrer dans un plan conçu d’avance, et dont on fait témérairement honneur à l’auteur de la nature. Mais lorsque les faits que nous avons scrupuleusement étudiés conspirent évidemment à un seul but, quand nous les voyons disposés avec ordre, avec intelligence, avec prévoyance pour les besoins et pour le bien de chaque être, comment nous refuser de croire à l’existence d’une cause intelligente et souve­rainement bonne ? Cette manière de raisonner dont Socrate le premier a fait un usage savant