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THÉOPHRASTE.


doivent avoir pour le bonheur. Parmi les rares fragments qui nous restent de cette morale, on remarque une décision fort dure contre le mariage ; mais cette décision ne s’adresse qu’au sage, et Théophraste paraît l’avoir mise en pratique, pour vaquer plus librement à ses vastes travaux. Un autre jugement, que rapporte Marc Aurèle (Pensées, liv. ii, c. 10), sur les fautes commises par concupiscence ou par colère, nous laisse voir l’emploi de cette méthode qui est devenue plus tard le casuisme, et que pratiquèrent souvent les moralistes anciens, surtout dans l’école stoïcienne, comme on peut le voir dans le De officiis de Cicéron. Sur l’éducation et sur la vie de famille (Stobée, sect. iii, § 50 ; Appendix, n° 116), les préceptes de Théophraste sont justes, mais d’une honnêteté plus vulgaire. On en peut dire autant d’un morceau sur la colère (Stobée, sect. xix, § 12) ; mais un autre fragment (Stobée, sect. xliv, § 22), qui paraît extrait de l’ouvrage Sur les législateurs ou du Recueil de lois, suppose la plus minutieuse étude des législations étrangères, et semble, en quelque sorte, annoncer la manière de Montesquieu.

En métaphysique, Brucker, et tout récemment M. Ritter, paraissent croire que Théophraste s’éloignait beaucoup des doctrines du Stagirite ; il est plus facile d’affirmer ces différences que de les prouver. On n’en trouve aucune trace dans le fragment qui nous reste de la Métaphysique de Théophraste. Seulement, tandis qu’Aristote voit dans le mouvement régulier des sphères célestes le plus haut degré de perfection, et n’hésite pas à mettre la condition des astres au-dessus de celle des humains, Théophraste se demande si le mouvement circulaire n’est pas, au contraire, d’une nature inférieure à celui de l’âme, surtout au mouvement de la pensée. Nous citerons encore cette réflexion : « Ceux qui cherchent la raison de toute chose ruinent la raison, et, du même coup, la science. » De telles phrases et d’autres semblables répondent, ce nous semble, aux doutes d’Hermippus et d’Andronicus, qui n’avaient pas osé comprendre cet opuscule parmi les écrits de Théophraste ; et Nicolas de Damas l’avait mieux apprécié lorsqu’il le tenait pour authentique. Le peu qu’on sait des théories de notre philosophe sur la rhétorique et sur la poétique, ne mérite pas de nous arrêter ici ; mais nous devons signaler, en terminant, son traité Sur la sensation et les choses sensibles, où ses opinions ne se montrent guère, mais où les opinions de ses devanciers sont longuement analysées. C’est un chapitre intéressant de l’histoire de la philosophie grecque. En général, de toutes les qualités de Théophraste, l’érudition est sans doute celle qui ressort le mieux des titres seuls de ses nombreux ouvrages et des fragments qui nous en sont parvenus ; mais il reste à cet égard d’utiles travaux à faire. L’unique recueil publié par Meursius, sous le titre de Theophrastus (Leyde, 1638), et reproduit au tome x des Antiquités grecques de Gronovius, mériterait d’être revu et complété à l’aide d’une foule de publications récentes. Aucune édition des œuvres de Théophraste ne contient ses fragments ; la meilleure de toutes, celle de Schneider (Leipzig, 1818-1821), ne renferme pas la Métaphysique, dont le meilleur texte se lit à la suite de la Métaphysique d’Aristote, édit. de Brandis (in-8°, Berlin, 1823). Consultez, en outre, les éditions des Caractères, par Coray (Paris,