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GUIDE DU BON SENS

et devant tous nos actes, elle présente un miroir déformant.

J’étais encore un petit garçon quand, dans une fête de village, on m’emmena dans une baraque foraine qui renfermait toute une suite de tels miroirs, plus ou moins allongés, ou concaves, ou convexes : cela s’appelait « la Rigolade Universelle » ; et les gens qui pénétraient dans cette baraque semblaient bien, en effet, prendre pour leurs deux sous un plaisir énorme, et s’esclaffaient, et ne cessaient d’éclater en gros rires, devant leurs images et celles de leurs voisins, ainsi transformées, déformées, grossies ou rapetissées de façon grotesque : « Ah ! je ris de me voir si laid dans ce miroir !… »

Dirai-je que, loin de participer à cette « rigolade universelle » — l’affreuse expression ! — plutôt que de rire, je me sentais près de sangloter ? Et surtout, j’avais très peur : ainsi l’ironie effraie les enfants, loin de les divertir ; au juste, ils ne la comprennent pas.

J’ai rêvé d’un ironiste qui, un beau jour, tout à coup, perdait son ironie. Comme ces gens qui cherchent leurs lunettes, oubliant qu’ils les ont sur le nez, notre ironiste ne se rendait plus compte de ces lunettes qu’il ne quittait plus, avec lesquelles il avait pris l’habitude détestable de regarder toutes choses et qui, pareilles aux miroirs de la « Rigolade Univer-