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GUIDE DU BON SENS

et bon goût ne s’associent-ils pas pour protester contre certaines chimies culinaires que l’on se flatte de nous imposer comme le fin du fin ?

Le bon sens, ce sont les cinq sous du Juif-Errant : on n’en a pas plus ou moins à sa disposition, plus ou moins à dépenser suivant les circonstances ; c’est affaire à l’intelligence de se montrer plus ou moins fine, alerte, avertie, et qui est toujours susceptible d’augmenter à mesure ; pas de nuances, pas de différences de qualité, pas de progression ou d’accroissement du bon sens, et parler d’un « gros » bon sens est une expression vide de sens, ou un pléonasme : le bon sens est le bon sens, qui est ce qu’il est, et jamais plus ou moins gros.

Tout le monde a du bon sens, toute personne normale et bien constituée, et le manque de bon sens ne serait pas une infériorité intellectuelle, mais une sorte d’infirmité physique ; il n’y a donc pas plus à se vanter d’avoir du bon sens, que d’avoir bon pied, bon œil ou bon estomac.

Cependant il n’est pas défendu de s’en réjouir et, en tout cas, si tu digères mal, si tu deviens myope ou presbyte, ou qu’un accès de goutte t’interdise de courir ou même de marcher, tu ne songeras pas à accueillir cet état fâcheux et nouveau avec cette sorte de coquetterie que l’on voit certains mettre à la perte