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Vingt ans sont écoulés. Cadot n’est plus qu’une ombre.
Dans les ennuis sans fin, dans les transes sans nombre,
Mais sans que son courage ait un instant failli,
Le pauvre solitaire avant l’âge a vieilli.
Il est tout blanc ; sa main tremble sur la détente
De son mousquet rouillé, dont la voix éclatante
N’éveille plus l’écho des grands bois giboyeux.
Seul avec un grand chien sauvage au poil soyeux,
Fidèle compagnon de sa vie isolée,
Il montait quelquefois sur la tour ébranlée
Où flottaient les haillons troués du drapeau blanc ;
Et là, pensif, courbé sur son bâton tremblant,
Comme s’il eût encor rêvé de délivrance,
Il regardait longtemps du côté de la France,
Et puis s’agenouillait, pendant que de ses yeux
De longs pleurs de vieillard coulaient silencieux.
Il vivait de gibier, de poisson, de racines.
Quelquefois les Indiens des bourgades voisines
Venaient le visiter, et, dans son abandon,
D’un peu de pémican grossier lui faisaient don.