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BARTHÉLEMY (AUGUSTE-MARSEILLE).

À MONSIEUR DE LAMARTINE


Je me disais : donnons quelques larmes amères
Au poète qui suit de sublimes chimères,
Fuit les cités, s’assied au bord des vieilles tours,
Sous les vieux aqueducs prolongés en arcades,
Dans l’humide brouillard des sonores cascades,
Et dort sur l’aile des vautours.

Hélas ! toujours au bord des lacs, des précipices,
Toujours comme on le peint devant ses frontispices,
Drapant d’un manteau brun ses membres amaigris,
Suivant de l’œil, baigné par les feux de la lune,
Les vagues à ses pieds mourant l’une après l’une,
Et les aigles dans les cieux gris.

Quelle vie ! et toujours poète suicide
Boire, et boire à longs flots une existence acide ;
Ne donner qu’à la mort un sourire fané ;
Se bannir en pleurant loin des cités riantes,
Et dire comme Job en mille variantes :
 « O mon Dieu, pourquoi suis-je né ? »

Oh ! que je le plaignais ! ma douleur inquiète
Demandait aux passants : « Où donc est le poète ? »
« Que ne puis-je donner une obole à sa faim ? »
Et lui dire : Suis-moi sous mes pins d’Ionie,
Là tu t’abreuveras d’amour et d’harmonie,
Tu vivras comme un Séraphin.

Mais j’étouffai bientôt ma plainte ridicule :
Je te vis une fois, sous les formes d’Hercule,