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sortais rarement que le soir ; tantôt je prenais des oiseaux à la pipée, tantôt à la glu, une autre fois aux filets ; en un mot, le seul amusement que j’eusse au monde, je savais le varier, de manière que je ne m’ennuyais jamais. Un jour que je m’étais plus fatigué que de coutume, je m’endormis sous une feuillée épaisse. De ma vie, il m’en souvient encore, je n’eus, en dormant, de songes plus agréables : à la vérité, j’étais bien en état d’en avoir de semblables, n’ayant alors qu’environ dix-huit ans. Je m’éveillai enivré de ces plaisirs que l’on sent et que l’on ne définit pas. Mais quelle fut ma surprise lorsque je vis à côté de moi une charmante personne, dont l’image adorable m’avait occupé si délicieusement pendant mon sommeil. Elle savait trop bien lire dans les cœurs pour ne point voir ce qui se passait alors dans le mien : entraîné par l’amour, retenu par la crainte, je voulais parler et n’osais. Ces mouvements divers lui expliquaient mieux ce qui se passait dans mon âme que tout ce que la parole aurait pu me suggérer de plus délicat et de plus tendre, et mes yeux, interprètes fidèles de mes sentiments, lui tinrent un langage si pressant qu’elle eut pitié de moi et me parla ainsi :