Page:Forneret - Rien, 1983.djvu/10

Cette page a été validée par deux contributeurs.

De cela, il y a dix-sept ans ; et peut-être, la génisse, depuis qu’elle tombe, n’est-elle point encore arrivée à ce fond que tous les fils d’Écosse joints en longueur ne pourraient sans doute aller toucher.

On frissonne de se voir vacillant sur un si grand espace, et malgré tout, ce frisson vous donne quelque chose d’attachant, lorsqu’on regarde, — de fier, lorsqu’on a changé de lieu.

Une soirée par un vent vif, le papier sur lequel j’écrivais m’échappa, et lorsque involontairement je m’élançai pour le retenir, je me trouvai pendu par les cheveux à la main d’un pâtre qui avait remarqué mon imprudence, savait mon nom, et qui, lorsque j’étais à cheval sur ma baïonnette de pierre, arrivait derrière moi, à pas de loup, et se tenait prêt à me saisir au moindre de mes mouvements.

Aussitôt que je sus que quelqu’un me gardait, je cessai d’encourir le danger qui réjouissait si souvent mon âme, en glaçant parfois mon corps.

— Allons, promenons-nous, Byron, redit Young ; quand les chats sont loin, les rats grignotent. Venez et voyez comme elle tombe la pluie. Ce sont nos âmes qui pleurent. Écoutez l’orchestre de l’enfer qui tonne des paroles de Dante. Voyez ces flammes qui fuient parce que les damnés se remuent dans leurs chaudières sous le grappin du roi à cornes et à queue.

Et les petites ombres des deux grands hommes marchaient dans la vieille salle.

À ce moment une main s’allongea sur elles, et les figures des deux Anglais, subitement retour-

10