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LE RAJAH DE BEDNOURE,

n’était ni le premier bien ni la première pensée de personne. On avait été avare d’affection pour mon ame craintive, humiliée ; elle attendait l’autre vie dans une indigence, dans un vide insupportable.

Mon calme était de l’abandon ; mon repos, de l’isolement : mes longues nuits se passaient à regretter les tempêtes de ma jeunesse, ses journées les plus amères ; enfin j’enviais l’adversité quand on lui accordait une plainte, et la mort dès qu’elle arrachait quelques larmes. J’appelais vainement à mon secours les hivers, les frimas des pays du Nord ; leurs vents glacés auraient peut-être rafraîchi mon front et calmé l’ardeur de mon sang. Un rêve funeste vint une nuit troubler mon sommeil, et me laissa une longue agitation. Je songeai que, revenus tous ensemble en Europe, nous y habitions une grande ville. Je promenais ma tristesse au milieu des ténèbres. Arrivé sur un pont, je regardais couler le fleuve, qui entraînait des glaçons de toutes les formes : l’orage agitait quelques réverbères à demi éteints, et de gros nuages me cachaient la lumière incertaine de la lune. Tout-à-coup je vis arriver une voiture : un homme à cheval, portant un