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XIX
sur la fable.

— Faire une sottise, interrompit-il ; sottise dont vous ne seriez point tenté si vous aviez moins d’orgueil d’une part, et de l’autre plus de véritable admiration pour La Fontaine.

— Comment ! repris-je d’un ton presque fâché, quelle plus grande preuve de modestie puis-je donner que de brûler un ouvrage qui m’a coûté des années de travail ? et quel plus grand hommage peut recevoir de moi l’admirable modèle dont je ne puis jamais approcher ?

— Monsieur le fabuliste, me dit le vieillard en souriant, notre conversation pourra vous fournir deux bonnes fables, l’une sur l’amour-propre, l’autre sur la colère. En attendant, permettez-moi de vous faire une question que je veux aussi habiller en apologue.

« Si la plus belle des femmes, Hélène, par exemple, régnait encore à Lacédémone, et que tous les Grecs, tous les étrangers, fussent ravis d’admiration en la voyant paraître dans les jeux publics, ornée d’abord de ses attraits enchanteurs, de sa grâce, de sa beauté divine, et puis encore de l’éclat que donne la royauté, que penseriez-vous d’une petite paysanne ilote, que je veux bien supposer jeune, fraîche, avec des yeux noirs, et qui, voyant paraître la reine, se croirait obligée d’aller se cacher ? Vous lui diriez : « Ma chère enfant, pourquoi vous priver des jeux ? Personne, je vous assure, ne songe à vous comparer avec la reine de Sparte. Il n’y a qu’une Hélène au monde ; comment vous vient-il dans la tête que l’on puisse songer à deux ? Tenez-vous à votre place. La plupart des Grecs ne vous regarderont pas, car la reine est là-haut, et vous êtes ici. Ceux qui vous regarderont, vous ne les ferez pas fuir. Il y en a même qui peut-être vous trouveront à leur gré ; vous en ferez vos amis, et vous admirerez avec eux la beauté de cette reine du monde. »

« Quand vous lui auriez dit cela, si la petite fille voulait encore s’aller cacher, ne lui conseilleriez-vous point d’avoir