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zons pâles. Sa gorge étrangla un cri de joie, résonnant en appels d’air rauques. Soudain, il entendit heurter et combattre au-dessus de lui dans la caverne. Il voulut alors y courir. Il lui fallait descendre jusqu’au corps agonisant de l’ennemi. En passant devant ce masque poissé de sang, ce torse accolé au sol, ces jambes tordues par le bris de la chute, il vit les yeux flaves qui le dévisageaient âprement. Appel ? crainte ? défi ? Qui saurait le dire ? Le vainqueur passa, une bave sanglante moussait entre les lèvres de l’agonisant à chaque mouvement du thorax.

Le Magdalénien gravit, enfin, la sente vers sa demeure, d’un pas hâtif, inquiet et vainqueur. L’emmêlement des sentiers, les pentes, les détours se succédèrent, puis la roide sente finale.

Voici l’antre. L’ogive basse ouvre son portail, dans une ombre couleur d’eau profonde. Un appel retentit dans la poitrine de l’homme victorieux…

De la voûte jaillit un corps massif, une sagaie pointée en avant ; le vainqueur sent son épaule vêtir de chair chaude le harpon de métal barbelé ; il se rue sur celui-ci qui a pris possession de son antre. Sa massue arrache à l’autre un cri bref de douleur. Les deux hommes se heurtent et se blessent. Le Magdalénien a, dans cette lutte, le temps de voir : les enfants, crâne ouvert, sont étendus sur le sol ; l’aïeule, éventrée et décapitée, est au fond, elle s’est défendue comme un homme et sa main tient encore une hache de silex. Un des hommes du métal, la face horriblement broyée, témoigne qu’on n’a pas forcé sans coup férir la demeure des hommes du silex. Il a le sentiment, l’héritier des artistes merveilleux d’une époque déjà morte, qu’il reste seul de sa race en face de cet ennemi. Tout cela se précipite en torrent dans son cerveau. Il lutte. La caverne est profonde, mais étroite à cet endroit. Il a déjà asséné de terribles coups à l’autre, mais voici que le forgeron tend d’un geste de foudre un bras muni d’une sorte de lame claire. Il voit, il a vu, cette arme inconnue venir à sa rencontre. Il recule du torse, la paroi le heurte, son bras armé de la hache de silex cherche l’élan pour frapper encore. Trop tard, la flèche lumineuse l’atteint. Il sait confusément la peau qui résiste, puis cède, sa chair rétractée essaie de refouler cette arme mince et inexplicable, la lame s’enfonce. Le Magdalénien sent une lueur glaciale qui le pénètre. Un anneau douloureux ceint l’arme engainée dans son torse. La douleur grandit, énorme, démesurée, noie en lui la conscience et le vouloir ; il veut encore respirer, gonfler sa poitrine d’oxygène, et dans un borborygme atroce, un jet de sang gicle de sa bouche béante. le métal a vaincu.

Dans la caverne sanglante qu’emplit le remugle des chairs mortes, l’homme du métal s’est approché du dernier être vivant : la femme qui préfigure la beauté des temps à venir. Affolée et rigide, elle se tient adossée à la muraille, dans un angle. Lui saigne, et sa rage est calme. Sans doute, est-il resté seul mâle de ces deux clans en lutte. Le sentiment de l’inutilité de ces meurtres hante peut-être son front bas et son œil aigu. Il s’approche, à sa main luit la lame qui vient de sacrifier le dernier des hommes de la Magdeleine : la première épée, le premier instrument perfectionné d’assassinat. Et voici crue l’âme des métallurgistes ses aïeux vibre en lui. L’art n’est point pour ces gens du Sud, esclavagés par des labeurs puissants, une chose usagée et millénaire dont les aïeux aient exploré tous les secrets. Devant ce corps mince et bulbeux, à peine vêtu d’une peau usée et souple, il pressent le mystère de la grâce féminine. Il perçoit au battement de ses artères l’infinie expansion possible du sentiment admiratif qui l’anime. Il s’arrête devant la femme. Tous deux se contemplent en silence. Enfin, le couteau tombe des mains de l’homme du métal et sa main esquisse un geste amical. Elle a lu dans l’œil de l’ennemi sa puissance et son avenir. Elle abandonne la froideur grenue de la pierre qui l’adosse et où elle a cru mourir, elle enjambe le corps d’un des tués, un autre cadavre encore. L’homme recule devant elle, avec un halètement. Voici le jour plein, la forêt étendue à l’infini comme un tapis sombre, les montagnes silencieuses où le vent seul grince en s’écorchant sur les granits. Le ciel étend sa coupole couleur de perle entre les quatre horizons. C’est maintenant un couple.

Leurs enfants, vagabonds, laborieux et artistes surent unir la science au rêve. Ils conçurent la beauté. C’est grâce à quelques-uns de leurs descendants, partis vers l’Orient où règne la douceur de vivre, qu’un peuple barbare de la mer Égée connut le fer et l’art. Ce peuple devait, ainsi fertilisé par le sang des Atlantes et celui des Magdaléniens, acquérir une gloire immortelle sous le nom d’Hellas.

Renée DUNAN.



LA PART DU COMBATTANT

« 

Ils ont des droits sur nous »