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de nous rafraîchir avec une bouteille de bière blanche qui fut suivie d’une autre, lesquelles nous gonflèrent le ventre, chose importante à dire.

Le gîte était propre et d’honnête apparence. On nous mit dans une grande chambre dont deux lits à baldaquin, recouverts d’indienne, et une table longue pareille à celle d’un réfectoire de collège, formaient l’ameublement principal. Un raffinement de coquetterie avait laissé le pied des lits non bordé pour qu’on pût voir sur le bout de la couverture une large raie rouge qui en faisait la bordure, et une précaution de propreté avait cloué sur la table une belle toile cirée verte comme du bronze. Sur les murs, dans des cadres de bois noir, il y a l’histoire de Joseph, y compris la scène avec Mme Putiphar, le portrait de saint Stanislas, celui de saint Louis de Gonzague, qui est bien le saint le plus bête du monde, et des certificats de première communion avec vignettes représentant l’intérieur de l’église et les communiants et assistants dans leurs costumes respectifs. Des tasses à café, décorées de ces mots écrits en lettres d’or « liberté, ordre public », sont rangées le long de la cheminée dans l’espace que leur laissent deux carafes. Ah ! quelles carafes ! quel dommage si on en cassait une ! où retrouver la paire ? Elles n’étaient pourtant pas de verre de Venise, ni ciselées, ni taillées, mais de verre tout bonnement, comme de simples carafes ; elles n’ont pas même de bouchons, mais dans la première, autour d’un Napoléon, grand d’un demi-pouce et tout raide étendu sur son tombeau