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c’est-à-dire plastiques, et leurs lois physiologiques, c’est-à-dire nécessaires pour exister, pourquoi n’auraient-elles pas (partant de ce principe et dès lors nous plaçant dans ce monde qui paraît la négation du nôtre et qui, peut-être, en est bien le corollaire), pourquoi donc tout cela n’aurait-il pas sa beauté aussi, son idéal ? Les anciens ne le croyaient-ils pas ? et leur mythologie est-elle autre chose qu’un univers monstrueux et fantastique, revêtu de formes impossibles à notre nature et belles pourtant, tant elles sont justes en elles-mêmes et harmoniques l’une à l’autre ? N’adorez-vous pas les longs cheveux glauques des Naïades et la voix des Sirènes, gouffre de mélodie qui faisait tourbillonner les navires ? Qui est-ce qui n’a pas trouvé la Chimère charmante, aimé sa narine de lion, ses ailes d’aigle qui bruissent et sa croupe à reflets verts ? — Ne croyez-vous pas, comme s’ils avaient existé, aux Satyres ricaneurs qui passaient leurs oreilles pointues derrière les bouquets de myrtes et dont les pieds de boucs tombaient en cadence la nuit sur le gazon des jardins ? — Et ces rêves-là, pas plus que ceux de la nature, n’ont été non plus créés par un homme, ni mis au monde en un jour ; comme les métaux, comme les rochers, comme les fleuves, comme les mines d’or, et comme les perles, ils ont sourdi lentement, goutte à goutte, se formant par couches successives, se produisant d’eux-mêmes et se tirant du néant par leur force interne. Nous les contemplons pareillement avec un ébahissement inquiet et rétrospectif,