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un danseur et un pierrot qui l’invitent au menuet. Des deux côtés, sur des sièges, des amis sourient et causent. Au premier plan un petit enfant traîne un joujou ; c’est là une bonne maison où il fait chaud, une maison où l’on s’amuse ; on sent que dehors il pleut et que les masques courent dans la crotte, le temps est gris, un vrai temps de carnaval, on jouera tout à l’heure la comédie et l’on mangera ce soir des beignets.

J’aime beaucoup aussi du même auteur un portrait de la Camargo. Elle danse en plein vent, sur l’herbe, en robe de satin blanc avec des rubans bleus et des guirlandes de roses ; à sa droite un tambour remue ses baguettes et un fifre enfle ses joues ; à gauche un violon, un basson et une femme qui regarde. La Camargo ! quel nom ! est-ce qu’il n’est pas tout résonnant de grelots vermeils ? est-ce qu’il ne vous envoie pas, comme dans une ritournelle folâtre, avec le vent chaud d’une jupe qui tourne, une odeur de poudre d’iris ou de jasmin d’Espagne et des aperçus de rotules blanches qui se raidissent sur des édredons de soie jaune dans un boudoir plein de porcelaines de Saxe et tout couvert de pastels ?

L’antithèse, comme peinture, comme visage et comme idée, se trouve en face, dans ce portrait de femme qu’on attribue à MurilIo. Elle est vêtue d’une robe bleue blanchie par l’usage ; ses cheveux noir de suie et mal peignés surplombent d’un ton mort sa figure verdâtre, sous son front bas et mélancolique ses yeux bruns retroussés