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le soir, sur le plateau appelé le Prato. Nous étions placés sur une des plus hautes montagnes de la Corse et nous voyions à nos côtés toutes les vallées et toutes les montagnes qui s’abaissaient en descendant vers la mer ; les ondulations des coteaux avaient des couleurs diversement nuancées suivant qu’ils étaient couverts de maquis, de châtaigniers, de pins, de chênes-liège ou de prairies ; en face de nous et dans un horizon de plus de trente lieues, s’étendait la mer Tyrrhénienne, comprenant l’île d’Elbe, Sainte-Christine, les îles Caprera, un coin de la Sardaigne ; à nos pieds s’étendait la plaine d’Aleria, immense et blanche comme une vue de l’Orient, où allaient se rendre toutes les vallées qui partaient en divergeant du centre où nous étions ; et là, en face, au fond de cette mer bleue où les rayons de soleil tracent sur les flots de grandes lignes qui scintillent, c’est la Romagne, c’est l’Italie ! Nous étions descendus de nos chevaux et nous les avions laissé aller brouter l’herbe courte qui pousse entre le granit. Nous nous sommes avancés pour contempler plus à notre aise un roc escarpé en espèce de promontoire. On ne saurait dire ce qui se passe en vous à de pareils spectacles ; je suis resté une demi-heure sans remuer, et regardant comme un idiot la grande ligne blanche qui s’étendait à l’horizon. Isolaccio est situé au fond des gorges que nous dominions. Du Prato il faut bien trois heures pour y atteindre. Nous avons descendu par des chemins abrupts, à l’aventure, comme nous avons pu.