Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/426

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Tant mieux.

— Et contre qui ?

— Contre les Anglais.

À ce mot ils bondissaient de joie et nous montraient en ricanant un poignard ou un pistolet, car un Corse ne voyage jamais sans être armé, soit par prudence ou par habitude. On porte le poignard soit attaché dans le pantalon, mis dans la poche de la veste, ou glissé dans la manche ; jamais on ne s’en sépare, pas même à la ville, pas même à table. Dans un grand dîner à la préfecture et où se trouvait réuni presque tout le conseil général, on m’a assuré que pas un des convives n’était sans son stylet. Le cocher qui nous a conduits à Bogogna tenait un grand pistolet chargé sous le coussin de sa voiture. Tous les bergers de la Corse manquent plutôt de chemise blanche que de lame affilée.

À Vico on commence à connaître ce que c’est qu’un village de la Corse. Situé sur un monticule, dans une grande vallée, il est dominé de tous les côtés par des montagnes qui l’entourent en entonnoir. Le système montagneux de la Corse à proprement parler, n’est point un système ; imaginez une orange coupée par le milieu, c’est là la Corse. Au fond de chaque vallée, de temps en temps un village, et pour aller au hameau voisin il faut une demi-journée de marche et passer quelquefois trois ou quatre montagnes. La campagne est partout déserte ; où elle n’est pas couverte de maquis, ce sont des plaines, mais on n’y rencontre