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un maigre petit cheval blanc et s’appuyait sur son long bâton comme s’il s’en fût aidé pour marcher. Je l’avais d’abord tenu pour espagnol à son accent, mais il m’a dit être français et faire le commerce des mules ; il a servi dans la guerre de Belgique, il a été sergent, on lui a même proposé d’être tambour-major, mais il n’a pas voulu ; car il déteste l’habit de soldat et la discipline, il aime mieux l’Espagne que la France : « C’est là que la vie est bonne, s’écriait-il ! tout le monde y mange de la viande, le pain y coûte un sou, deux liards la livre, le vin y est meilleur, tout le monde est poli et on n’a pas besoin de crier pour se faire servir dans les auberges. — Oui, Monsieur, me disait-il en me regardant avec son œil à moitié fermé, celui qui y fait de la dépense pour un sou est regardé comme celui qui en fait pour six francs. » Comme je lui demandais si les femmes étaient jolies : « Ce n’est pas tant qu’elles sont jolies comme elles sont bonnes ; rien qu’à les entendre parler, continuait-il, il y a une grâce, une certaine chose chez elles enfin, qui vous porte à penser à des affaires de femmes quand on ne le voudrait pas. » Mais il revenait toujours sur le bon marché des vivres et ne tarissait pas sur l’éloge du pain qui est meilleur, du vin, de la viande, de tout en général et sur la magnifique beauté du cher pays qu’il habite.