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ce seul après-midi où j’y fus, ce qui fait que Pau m’a semblé ennuyeux. On m’a assuré le contraire et on a rejeté sa mine rechignée sur le mauvais temps qu’il faisait ; on m’a dit que les jolies femmes ne se montraient qu’au soleil, et il pleuvait fort, la journée que j’y suis resté. Le haras m’a tout autant intéressé que le château d’Henri IV, car j’ai encore mal au cœur du berceau du bon roi. Son petit-fils Louis XVIII l’a fait surmonter d’un casque doré et de drapeaux blancs, de trophées et de fleurs de lis, et tout cela pour une écaille de tortue et deux fourchettes qui dorment dedans à la place du cher monarque. Cela veut-il dire qu’Henri IV ait été un pique-assiette ? Aujourd’hui on répare le château, on recrépit les ruines, on remet du ciment dans les pierres grises, on se joue avec l’histoire. Qu’est-ce que tout cela signifie ? Par amour pour l’art on finira par s’habiller en ligueur quand on sera dans un château du xvie siècle, et par vivre dans un bal masqué perpétuel. Bref, je suis assommé des châteaux qui rappellent des souvenirs, et des souvenirs comme ceux d’Henri IV, qui est bien l’homme le plus matériel et le plus antipoétique du monde. Si nous rebattons si bien les vieux habits pour les mettre sur nos dos, c’est faute peut-être d’en avoir de neufs.

L’homme n’est pas content d’avoir le présent et l’avenir, il veut le passé, le passé des autres, et détruit même jusqu’aux ruines. S’il pouvait il vivrait à la fois dans trois siècles et se regarderait