Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/319

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

remparts. On voyait s’élever les robes blanches des petites filles avec les lumières des flambeaux et on entendait les voix s’éloigner.

À la nuit tombante, nous avons été sur les tours voir se coucher le soleil ; nous y avons causé avec un vieux marin qui, appuyé sur le parapet, fumait comme nous la pipe en faisant la digestion. Il avait fait de longs voyages, été en Cochinchine et dans les Indes, visité le Japon et la mer Blanche ; il nous parlait de ces pays qu’il avait vus, pendant que la marée montante battait le pied des tours, que les étoiles s’allumaient et que de temps à autre la voix éloignée des sentinelles qui criaient : Garde à vous ! allait se répétant dans l’ombre.

Le lendemain, quand la grève se fut découverte encore, nous partîmes du Mont par un ardent soleil qui chauffait les cuirs de la voiture. Nous avancions au pas ; les colliers craquaient, les roues enfonçaient dans le sable. Au bout de la grève, quand le gazon a paru, j’ai appliqué mon œil à la petite lucarne qui est au fond des voitures et j’ai dit adieu au Mont Saint-Michel.

Pour aller à Combourg il fallait revenir à Dol ; ce fut le gros maître de poste de Pontorson qui nous y mena lui-même. Assis sur le tablier de son tape-cul (nous avions quitté notre équipage), les deux pieds posés sur le brancard, en chemise et la pipe aux lèvres, il poussait au grand trot ses deux pommelés et faisait claquer son perpignan ; du plus loin qu’il apercevait des voitures il leur criait de se garer, injuriant celles qui ne se ran-