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comme à un foyer qui ne s’éteint pas. On s’étonne de l’acharnement de ce peuple à ses croyances, mais sait-on tout ce qu’elles lui donnent de délectation et de voluptés, tout ce qu’il en retire de plaisir ? L’ascétisme n’est-il pas un épicurisme supérieur, le jeûne une gourmandise raffinée ? La religion comporte en soi des sensations presque charnelles ; la prière a ses débauches, la mortification son délire, et les hommes qui le soir viennent s’agenouiller devant cette statue habillée y éprouvent aussi des battements de cœur et des enivrements vagues, pendant que, dans les rues, les enfants des villes revenant de la classe s’arrêtent rêveurs et troublés à contempler sur sa fenêtre la femme ardente qui leur fait les doux yeux.

Il faut assister à ce qu’on appelle ses fêtes, pour se convaincre du caractère sombre de ce peuple. Il ne danse pas, il tourne ; il ne chante pas, il siffle. Ce soir même, nous allâmes, dans un village des environs, voir l’inauguration d’une aire à battre. Deux joueurs de biniou, montés sur le mur de la cour, poussaient sans discontinuer le souffle criard de leur instrument, au son duquel couraient au petit trot, en se suivant à la queue du loup, deux longues files qui revenaient sur elles-mêmes, tournaient, se coupaient et se renouaient à des intervalles inégaux. Les pas lourds battaient le sol, sans souci de là mesure, tandis que les notes aiguës de la musique se précipitaient l’une sur l’autre dans une monotonie glapissante. Ceux qui ne voulaient plus danser s’en