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taient d’en sortir : celle qui priait sur le tombeau, pour rejoindre ce qu’elle avait perdu ; celle qui priait devant la Vierge, pour s’unir à ce qu’elle adorait. Douleur, aspiration, prière, mêmes rêves et quel abîme ! L’un pivotait sur un souvenir, l’autre gravitait vers l’éternité !

Au village de Rosporden nous avons revu les hommes que nous venions de quitter à Quimperlé : mêmes allures, mêmes habits, grand chapeau, grand gilet, veste bleue ou blanche, large ceinture de cuir, bragow-brass, galoches, mêmes aspects de visage, mêmes tournures de corps.

C’était jour de marché, la place était pleine de paysans, de charrettes et de bœufs ; on entendait sonner les rauques syllabes celtiques mêlées au grognement des animaux et au claquement des charrettes, mais pas de confusion, d’éclats, ni rires dans les groupes ni bavardages sur le seuil des cabarets, pas un homme ivre, pas de marchand ambulant, point de boutique de toile peinte pour les femmes, ou de verroterie pour les enfants, rien de joyeux, de heurté, d’animé. Ceux qui veulent vendre attendent résignés et sans bouger le chaland qui vient à eux. Dans la place se promènent des couples de bœufs avec quelque enfant qui les retient par les cornes, ou bien trotte une maigre rosse au milieu de la foule qui s’écarte, sans jurer ni se plaindre. Puis on se regarde un instant, la convention se conclut et l’on s’en retourne chez soi sans s’attarder davantage. En effet le village est éloigné, la lande est grande, le soir