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nu-pieds pour n’y pas laisser leurs chaussures. Après avoir pataugé dans cette effroyable gouache pendant trois quarts d’heure, la route par places redevient passable ; il y a des champs de vigne sur la gauche.

Nous haltons une minute au village de Agiorgitika, il n’est que 10 heures. Nous continuons, nous passons une rivière qui a de grandes berges de sable, plaine unie.

Déjeuner au village de Akouria, en face un maréchal ferrant qui forge, chez une sorte d’épicier où nous gelons.

La route continue par la plaine, nous traversons un potamos. Des gens crient après nous : ce sont des gendarmes qui nous demandent nos passeports ; nous continuons ; un d’eux, soldat irrégulier, nous apostrophe de l’autre côté du fleuve et brandit son pistolet ; nous trouvons le procédé trop militaire et nous l’attendons, décidés à le sermonner ferme. Lui et l’autre pauvre diable passent le fleuve et viennent à nous : on leur a dit dans le village qu’il était passé des Européens se rendant à Sparte, et comme il y a, dans la montagne, quatre bandits redoutés, ils ont voulu nous accompagner et se sont tout de suite mis à courir après nous ; le gendarme, en effet, est à peine vêtu ; son compagnon a l’air d’un gredin achevé, avec ses jambarts rattachés par des ficelles, sa mine blonde et pâle, son nez fin d’oiseau de proie ; c’est lui qui retourne au village chercher du renfort que nous attendons vingt minutes au pied de la montagne, assis sur de grosses pierres ; la pluie commence, nous remontons à cheval sans attendre les gendarmes et nous entrons dans la montagne.