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ce pas une femme du monde, et une femme mariée ? une vraie maîtresse, enfin ? »

Voilà, messieurs, une description qui ne laissera rien à désirer, j’espère, au point de vue de la prévention ! En voici une autre ou plutôt voici la continuation de la même scène :

« Elle avait des paroles qui l’enflammaient avec des baisers qui lui emportaient l’âme. Où donc avait-elle appris ces caresses presque immatérielles, à force d’être profondes et dissimulées ? »

Oh ! je comprends bien, messieurs, le dégoût que lui inspirait ce mari qui voulait l’embrasser à son retour, je comprends à merveille que lorsque des rendez-vous de cette espèce avaient lieu, elle sentît avec horreur, la nuit, contre « sa chair, cet homme étendu qui dormait ».

Ce n’est pas tout, à la page 73[1], il est un dernier tableau que je ne veux pas omettre ; elle était arrivée jusqu’à la fatigue de la volupté.

« Elle se promettait continuellement pour son prochain voyage une félicité profonde ; puis elle s’avouait ne rien sentir d’extraordinaire. Mais cette déception s’effaçait vite sous un espoir nouveau, et Emma revenait à lui plus enflammée, plus haletante, plus avide. Elle se déshabillait brutalement, arrachant le lacet mince de son corset qui sifflait autour de ses hanches comme une couleuvre qui glisse. Elle allait sur la pointe de ses pieds nus regarder encore une fois si la porte était fermée, puis elle faisait d’un seul geste tomber ensemble tous ses vêtements ; — et pâle, sans parler, sérieuse, elle s’abattait contre sa poitrine, avec un long frisson. »

Je signale ici deux choses, messieurs, une peinture admirable sous le rapport du talent, mais une peinture exécrable au point de vue de la morale. Oui, M. Flaubert sait embellir ses peintures avec toutes les ressources de l’art, mais sans les ménagements de l’art. Chez lui point de gaze, point de voiles, c’est la nature dans toute sa nudité, dans toute sa crudité !

Encore une citation de la page 78[2].

« Ils se connaissaient trop pour avoir ces ébahissements de possession qui en centuplent la joie. Elle était aussi dégoûtée de lui qu’il était fatigué d’elle. Emma retrouvait dans l’adultère toutes les platitudes du mariage. »

Platitudes du mariage, poésie de l’adultère ! Tantôt c’est la souillure du mariage, tantôt ce sont ses platitudes, mais c’est toujours la poésie de l’adultère. Voilà, messieurs, les situations que M. Flaubert aime à peindre, et malheureusement il ne les peint que trop bien.

J’ai raconté trois scènes : la scène avec Rodolphe, et vous y

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