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On entend généralement par « style » la façon propre à chaque écrivain de présenter sa pensée. Le style serait donc différent selon l’homme, éclatant ou sobre, abondant ou concis, suivant les tempéraments. Gustave Flaubert estimait que la personnalité de l’auteur doit disparaître dans l’originalité du livre et que l’originalité du livre ne doit point provenir de la singularité du style.

Car il n’imaginait pas des « styles » comme une série de moules particuliers dont chacun porte la marque d’un écrivain et dans lequel on coule toutes ses idées ; mais il croyait au style, c’est-à-dire à une manière unique, absolue, d’exprimer une chose dans toute sa couleur et son intensité.

Pour lui, la forme, c’était l’œuvre elle-même. De même que, chez les êtres, le sang nourrit la chair et détermine même son contour, son apparence extérieure, suivant la race et la famille, ainsi, pour lui, dans l’œuvre le fond fatalement impose l’expression unique et juste, la mesure, le rythme, toutes les allures de la forme.

Il ne comprenait point que le fond pût exister sans la forme, ni la forme sans le fond.

Le style devait donc être, pour ainsi dire, impersonnel et n’emprunter ses qualités qu’à la qualité de la pensée et à la puissance de la vision.

Obsédé par cette croyance absolue qu’il n’existe qu’une manière d’exprimer une chose, un mot pour la dire, un adjectif pour la qualifier et un verbe pour l’animer, il se livrait à un labeur surhumain pour découvrir, à chaque phrase, ce mot, cette épithète et ce verbe. Il croyait ainsi à une harmonie mystérieuse des expressions, et, quand un terme juste ne lui semblait point euphonique, il en cherchait un autre avec une invincible patience, certain qu’il ne tenait pas le vrai, l’unique.

Écrire était donc pour lui une chose redoutable, pleine de tourments, de périls, de fatigues. Il allait s’asseoir à sa table avec la peur et le désir de cette besogne aimée et torturante. Il restait là pendant des heures, immobile, acharné à son travail effrayant de colosse patient et minutieux qui bâtirait une pyramide avec des billes d’enfant.

Enfoncé dans son fauteuil de chêne à haut dossier, la tête rentrée entre ses fortes épaules, il regardait son papier de son œil bleu, dont la pupille, toute petite, semblait un grain noir toujours mobile. Une légère calotte de soie, pareille à celle des ecclésiastiques, couvrant le sommet du crâne, laissait échapper de longues mèches de cheveux bouclés par le bout et répandus sur le dos. Une vaste robe de chambre en drap brun l’enveloppait tout entier ; et sa figure rouge, que coupait une forte moustache blanche aux bouts tombants, se gonflait sous un furieux afflux de sang. Son regard ombragé de grands cils sombres courait sur les lignes, fouillant les mots, chavirant les phrases, consultant la