Page:Flaubert - Madame Bovary, Conard, 1910.djvu/440

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Eh bien, pour la peine, dit Hivert, tu vas nous montrer la comédie.

L’Aveugle s’affaissa sur ses jarrets, et, la tête renversée, tout en roulant ses yeux verdâtres et tirant la langue, il se frottait l’estomac à deux mains, tandis qu’il poussait une sorte de hurlement sourd, comme un chien affamé. Emma prise de dégoût, lui envoya, par-dessus l’épaule, une pièce de cinq francs. C’était toute sa fortune. Il lui semblait beau de la jeter ainsi.

La voiture était repartie, quand soudain M. Homais se pencha en dehors du vasistas et cria :

— Pas de farineux ni de laitage ! Porter de la laine sur la peau et exposer les parties malades à la fumée de baies de genièvre !

Le spectacle des objets connus qui défilaient devant ses yeux peu à peu détournait Emma de sa douleur présente. Une intolérable fatigue l’accablait, et elle arriva chez elle hébétée, découragée, presque endormie.

— Advienne que pourra ! se disait-elle.

Et puis, qui sait ? pourquoi, d’un moment à l’autre, ne surgirait-il pas un événement extraordinaire ? Lheureux même pouvait mourir.

Elle fut, à neuf heures du matin, réveillée par un bruit de voix sur la place. Il y avait un attroupement autour des halles pour lire une grande affiche collée contre un des poteaux, et elle vit Justin qui montait sur une borne et qui déchirait l’affiche. Mais, à ce moment, le garde champêtre lui posa la main sur le collet. M. Homais sortit de la pharmacie, et la mère Lefrançois, au milieu de la foule, avait l’air de pérorer.