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première version

d’Adonis, la Juive en inquiétude qui cherche son Messie.

ANTOINE, lentement.

Oui !… elles sont malades…

LA VOIX

Elles viennent te raconter leurs souffrances. Il y en a qui dépérissent pour des danseurs, d’autres se pâment au son des flûtes, et ce n’est point, disent-elles, le danseur qu’elles aiment, ni la musique qui les enivre… Sans croire à l’oracle, elles ont pen-

    yeux caves ; elle semblait dormir, la bouche ouverte, car, sur le bord des dents, la langue passait.

    Et tu te disais qu’hier encore elle vivait, qu’elle parlait, que ces bras avaient étreint… Ce cœur immobile avait battu, — et les murs gardaient, dans leurs angles, les oppressements de la dernière nuit, les paroles entrecoupées…

    Tu te rapprochas, tu te penchais : il y avait, sur son col, du côté droit, une tache rose : tu devinas !… hah ! hah !… Dans un myrte, l’alouette cria, les mariniers, sur le fleuve, reprirent leur chanson et tu te remis en prières…

    ANTOINE

    Oui !… oui !… je me rappelle !

    LA VOIX

    Les pointes de ses seins soulevaient sa tunique.

    ANTOINE

    … Et la bague d’or de son doigt frappée par une des torches lançait un grand rayon. C’était une nuit pareille. L’air était lourd, j’avais la poitrine défaillante…