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XXII
préface

terrassée, la pensée perverse revient rôder, plus éperdue et plus avide que jamais, autour du gouffre défendu. Flaubert a raconté avec une terrible éloquence ces affres du désir sans espoir : « Les péchés sont dans ton cœur, — dit le diable à l’ermite, — et la désolation roule dans ta tête ! » Pour les possédés de la concupiscence intellectuelle, la réalité extérieure du Péché est inutile : le mal et l’enfer sont en eux !

Sans doute, les lecteurs non avertis du premier Saint Antoine distingueront malaisément dans les divagations du saint la voix propre de l’auteur. Elle y est pourtant ! Les hallucinations qu’il prête au solitaire sont les visions habituelles dont il s’enchantait et se désespérait. À la lettre, il fut amoureux, lui aussi, de la reine de Saba, il aurait voulu manger à la table de Nabuchodonosor, assister aux fêtes de Néron, se pencher entre les flambeaux des festins, pour voir passer la danse de Phryné…

Avec les désirs nostalgiques qui le dévoraient, il a déversé dans la Tentation toutes ses idées d’alors, — même ses idées littéraires. Le Chant des Poètes et des Baladins est non seulement la profession de foi romantique la plus complète qu’il ait écrite, mais la profession de ses goûts à lui, de ses bizarreries les plus singulières. Il y affirme son