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s’était mise dans un établissement spécial, à Chaillot.

Frédéric prit un fiacre et partit.

Au coin de la rue de Marbeuf, il lut sur une planche en grosses lettres : « Maison de santé et d’accouchement tenue par Mme Alessandri, sage-femme de première classe, ex-élève de la Maternité, auteur de divers ouvrages, etc. » Puis, au milieu de la rue, sur la porte, une petite porte bâtarde, l’enseigne répétait (sans le mot accouchement) : « Maison de santé de Mme Alessandri », avec tous ses titres.

Frédéric donna un coup de marteau.

Une femme de chambre, à tournure de soubrette, l’introduisit dans le salon, orné d’une table en acajou, de fauteuils en velours grenat, et d’une pendule sous globe.

Presque aussitôt, Madame parut. C’était une grande brune de quarante ans, la taille mince, de beaux yeux, l’usage du monde. Elle apprit à Frédéric l’heureuse délivrance de la mère, et le fit monter dans sa chambre.

Rosanette se mit à sourire ineffablement ; et, comme submergée sous les flots d’amour qui l’étouffaient, elle dit d’une voix basse :

— Un garçon, là, là ! en désignant près de son lit une barcelonnette.

Il écarta les rideaux, et aperçut, au milieu des linges, quelque chose d’un rouge jaunâtre, extrêmement ridé, qui sentait mauvais et vagissait.

— Embrasse-le !

Il répondit, pour cacher sa répugnance :

— Mais j’ai peur de lui faire mal ?

— Non ! non !