Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/222

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Elle regardait, au hasard, devant elle, tout en se laissant un peu traîner, comme un enfant paresseux. C’était l’heure où l’on rentrait de la promenade, et des équipages défilaient au grand trot sur le pavé sec. Les flatteries de Pellerin lui revenant sans doute à la mémoire, elle poussa un soupir.

— Ah ! il y en a qui sont heureuses ! Je suis faite pour un homme riche, décidément.

Il répliqua d’un ton brutal :

— Vous en avez un, cependant ! — car M. Oudry passait pour trois fois millionnaire.

Elle ne demandait pas mieux que de s’en débarrasser.

— Qui vous en empêche ?

Et il exhala d’amères plaisanteries sur ce vieux bourgeois à perruque, lui montrant qu’une pareille liaison était indigne, et qu’elle devait la rompre !

— Oui, répondit la Maréchale, comme se parlant à elle-même. C’est ce que je finirai par faire, sans doute !

Frédéric fut charmé de ce désintéressement. Elle se ralentissait, il la crut fatiguée. Elle s’obstina à ne pas vouloir de voiture et elle le congédia devant sa porte, en lui envoyant un baiser du bout des doigts.

« Ah ! quel dommage ! et songer que des imbéciles me trouvent riche ! »

Il était sombre en arrivant chez lui.

Hussonnet et Deslauriers l’attendaient.

Le bohème, assis devant sa table, dessinait des têtes de Turcs, et l’avocat, en bottes crottées, sommeillait sur le divan.