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sans la présence de Pécuchet. Dans les doses permises et malgré l’effroi du mercure ils administrèrent du calomel. Un mois plus tard, Mme Bordin était sauvée.

Elle leur fit de la propagande, et le percepteur des contributions, le secrétaire de la mairie, le maire lui-même, tout le monde dans Chavignolles suçait des tuyaux de plume.

Cependant le bossu ne se redressait pas. Le percepteur lâcha la cigarette, elle redoublait ses étouffements. Foureau se plaignit des pilules d’aloès qui lui occasionnaient des hémorroïdes ; Bouvard eut des maux d’estomac et Pécuchet d’atroces migraines. Ils perdirent confiance dans Raspail, mais eurent soin de n’en rien dire, craignant de diminuer leur considération.

Et ils montrèrent beaucoup de zèle pour la vaccine, apprirent à saigner sur des feuilles de chou, firent même l’acquisition d’une paire de lancettes.

Ils accompagnaient le médecin chez les pauvres, puis consultaient leurs livres.

Les symptômes notés par les auteurs n’étaient pas ceux qu’ils venaient de voir. Quant aux noms des maladies, du latin, du grec, du français, une bigarrure de toutes les langues.

On les compte par milliers, et la classification linnéenne est bien commode, avec ses genres et ses espèces ; mais comment établir les espèces ? Alors ils s’égarèrent dans la philosophie de la médecine.

Ils rêvaient sur l’archée de Van Helmont, le vitalisme, le Brownisme, l’organicisme ; demandaient au docteur d’où vient le germe de la scrofule, vers quel endroit se porte le miasme contagieux,