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Pécuchet, l’emportaient sur les exploits des conquérants.

Ils perfectionnèrent les achars de Mme Bordin, en épiçant le vinaigre avec du poivre ; et leurs prunes à l’eau-de-vie étaient bien supérieures ! Ils obtinrent par la macération des ratafias de framboise et d’absinthe. Avec du miel et de l’angélique dans un tonneau de Bagnols, ils voulurent faire du vin de Malaga ; et ils entreprirent également la confection d’un champagne ! Les bouteilles de chablis, coupées de moût, éclatèrent d’elles-mêmes. Alors ils ne doutèrent plus de la réussite.

Leurs études se développant, ils en vinrent à soupçonner des fraudes dans toutes les denrées alimentaires.

Ils chicanaient le boulanger sur la couleur de son pain. Ils se firent un ennemi de l’épicier, en lui soutenant qu’il adultérait ses chocolats. Ils se transportèrent à Falaise, pour demander du jujube, et sous les yeux mêmes du pharmacien, soumirent sa pâte à l’épreuve de l’eau. Elle prit l’apparence d’une couenne de lard, ce qui dénotait de la gélatine.

Après ce triomphe, leur orgueil s’exalta. Ils achetèrent le matériel d’un distillateur en faillite, et bientôt arrivèrent dans la maison, des tamis, des barils, des entonnoirs, des écumoires, des chausses et des balances, sans compter une sébile à boulet et un alambic tête-de-maure, lequel exigea un fourneau réflecteur, avec une hotte de cheminée.

Ils apprirent comment on clarifie le sucre, et les différentes sortes de cuites, le grand et le petit perlé, le soufflé, le boulé, le morve et le caramel.