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Dégoûtés du monde, ils résolurent de ne plus voir personne, de vivre exclusivement chez eux, pour eux seuls.

Et ils passaient des jours dans la cave à enlever le tartre des bouteilles, revernirent tous les meubles, encaustiquèrent les chambres ; chaque soir, en regardant le bois brûler, ils dissertaient sur le meilleur système de chauffage.

Ils tâchèrent par économie de fumer des jambons, de couler eux-mêmes la lessive. Germaine, qu’ils incommodaient, haussait les épaules. À l’époque des confitures, elle se fâcha, et ils s’établirent dans le fournil.

C’était une ancienne buanderie, où il y avait, sous les fagots, une grande cuve maçonnée excellente pour leurs projets, l’ambition leur étant venue de fabriquer des conserves.

Quatorze bocaux furent emplis de tomates et de petits pois ; ils en lutèrent les bouchons avec de la chaux vive et du fromage, appliquèrent sur les bords des bandelettes de toile, puis les plongèrent dans l’eau bouillante. Elle s’évaporait ; ils en versèrent de la froide ; la différence de température fit éclater les bocaux. Trois seulement furent sauvés.

Ensuite ils se procurèrent de vieilles boîtes à sardines, y mirent des côtelettes de veau et les enfoncèrent dans le bain-marie. Elles sortirent rondes comme des ballons ; le refroidissement les aplatirait. Pour continuer l’expérience, ils enfermèrent dans d’autres boîtes des œufs, de la chicorée, du homard, une matelote, un potage ! et ils s’applaudissaient, comme M. Appert, « d’avoir fixé les saisons » : de pareilles découvertes, selon