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autre suffirait au verger. Les contre-espaliers furent proscrits et ils ne remplaceraient pas les arbres morts ou abattus ; mais il allait se présenter des intervalles fort vilains, à moins de détruire tous les autres qui restaient debout. Comment s’y prendre ?

Pécuchet fit plusieurs épures, en se servant de sa boîte de mathématiques. Bouvard lui donnait des conseils. Ils n’arrivaient à rien de satisfaisant. Heureusement qu’ils trouvèrent dans leur bibliothèque l’ouvrage de Boitard, intitulé l’Architecte des Jardins.

L’auteur les divise en une infinité de genres. Il y a, d’abord, le genre mélancolique et romantique, que se signale par des immortelles, des ruines, des tombeaux, et un « ex-voto à la vierge, indiquant la place où un seigneur est tombé sous le fer d’un assassin ». On compose le genre terrible avec des rocs suspendus, des arbres fracassés, des cabanes incendiées ; le genre exotique, en plantant des cierges du Pérou « pour faire naître des souvenirs à un colon ou à un voyageur ». Le genre grave doit offrir, comme Ermenonville, un temple à la philosophie. Les obélisques et les arcs de triomphe caractérisent le genre majestueux ; de la mousse et des grottes, le genre mystérieux ; un lac, le genre rêveur. Il y a même le genre fantastique, dont le plus beau spécimen se voyait naguère dans un jardin wurtembergeois — car on y rencontrait successivement un sanglier, un ermite, plusieurs sépulcres, et une barque se détachant d’elle-même du rivage, pour vous conduire dans un boudoir où des jets d’eau vous inondaient quand on se posait sur le sofa.