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le sol, les greffes d’elles-mêmes s’enterrèrent et les arbres s’affranchirent.

Le printemps venu, Pécuchet se mit à la taille des poiriers. Il n’abattit pas les flèches, respecta les lambourdes, et, s’obstinant à vouloir coucher d’équerre les duchesses qui devaient former les cordons unilatéraux, il les cassait ou les arrachait invariablement. Quant aux pêchers, il s’embrouilla dans les sur-mères, les sous-mères et les deuxièmes sous-mères. Des vides et des pleins se présentaient toujours où il n’en fallait pas, et impossible d’obtenir sur l’espalier un rectangle parfait, avec six branches à droite et six à gauche, non compris les deux principales, le tout formant une belle arête de poisson.

Bouvard tâcha de conduire les abricotiers ; ils se révoltèrent. Il rabattit leurs troncs à ras du sol ; aucun ne repoussa. Les cerisiers, auxquels il avait fait des entailles, produisirent de la gomme.

D’abord ils taillèrent très long, ce qui éteignait les yeux de la base ; puis trop court, ce qui amenait des gourmands ; et souvent ils hésitaient, ne sachant distinguer les boutons à bois des boutons à fleurs. Ils s’étaient réjouis d’avoir des fleurs ; mais ayant reconnu leur faute, ils en arrachaient les trois quarts pour fortifier le reste.

Incessamment ils parlaient de la sève et du cambium, du palissage, du cassage, de l’éborgnage. Ils avaient, au milieu de leur salle à manger, dans un cadre, la liste de leurs élèves, avec un numéro qui se répétait dans le jardin sur un petit morceau de bois, au pied de l’arbre.

Levés dès l’aube, ils travaillaient jusqu’à la nuit, le porte-jonc à la ceinture. Par les froides matinées