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Leur exploitation comprenait quinze hectares en cours et prairies, vingt-trois en terres arables et cinq en friches situées sur un monticule couvert de cailloux et qu’on appelait la Butte.

Ils se procurèrent tous les instruments indispensables, quatre chevaux, douze vaches, six porcs, cent soixante moutons et, comme personnel, deux charretiers, deux femmes, un berger ; de plus, un gros chien.

Pour avoir tout de suite de l’argent, ils vendirent leurs fourrages : on les paya chez eux ; l’or des napoléons comptés sur le coffre à l’avoine leur parut plus reluisant qu’un autre, extraordinaire et meilleur.

Au mois de novembre ils brassèrent du cidre. C’était Bouvard qui fouettait le cheval et Pécuchet, monté dans l’auge, retournait le marc avec une pelle.

Ils haletaient en serrant la vis, puchaient dans la cuve, surveillaient les bondes, portaient de lourds sabots, s’amusaient énormément.

Partant de ce principe qu’on ne saurait avoir trop de blé, ils supprimèrent la moitié environ de leurs prairies artificielles ; et, comme ils n’avaient pas d’engrais, ils se servirent de tourteaux qu’ils enterrèrent sans les concasser, si bien que le rendement fut pitoyable.

L’année suivante ils firent les semailles très dru. Des orages survinrent. Les épis versèrent.

Néanmoins, ils s’acharnaient au froment et ils entreprirent d’épierrer la Butte. Un banneau emportait les cailloux. Tout le long de l’année, du matin jusqu’au soir, par la pluie, par le soleil, on voyait l’éternel banneau avec le même homme