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— Vous des pas grand’chose, reprit Sorel.

Bouvard s’oubliant, le traita de butor, d’estafier ! et Eugène répétait :

— La paix ! la paix ! respectons la loi, tandis que le père Aubain gémissait, à trois pas d’eux, sur un mètre de cailloux.

Troublés par ces voix, tous les chiens de la meute sortirent de leurs cabanes, on voyait à travers le grillage leurs prunelles ardentes, leurs mufles noirs et courant çà et là, ils aboyaient effroyablement.

— Ne m’embêtez plus, s’écria leur maître, ou bien je les lance sur vos culottes !

Les deux amis s’éloignèrent, contents néanmoins, d’avoir soutenu le progrès, la civilisation.

Dès le lendemain, on leur envoya une citation à comparaître devant le tribunal de simple police, pour injures envers le garde, et s’y entendre condamner à 100 francs de dommages et intérêts « sauf le recours du ministère public, vu les contraventions par eux commises : coût 6 fr. 75 c. Tiercelin, huissier. »

Pourquoi un ministère public ? La tête leur en tourna, puis se calmant, ils préparèrent leur défense.

Le jour désigné, Bouvard et Pécuchet se rendirent à la mairie une heure trop tôt. Personne ; des chaises et trois fauteuils entouraient une table ovale couverte d’un tapis, une niche était creusée dans le mur pour recevoir un poêle, et le buste de l’empereur occupant un piédouche, dominait l’ensemble.

Ils flânèrent jusqu’au grenier, où il y avait une pompe à incendie, plusieurs drapeaux, et dans