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pour se rendre digne de l’amour, le jeune homme se précipita dans le chemin de la vertu.

Mais Victor n’était pas capable de rêver une Sophie.

— Si plutôt nous le menions chez les dames ?

Pécuchet exprima son horreur des filles publiques.

Bouvard la jugeait idiote et même parla de faire exprès un voyage au Havre.

— Y penses-tu ? on nous verrait entrer !

— Eh bien ! achète-lui un appareil !

— Mais un bandagiste croirait peut-être que c’est pour moi, dit Pécuchet.

Il lui aurait fallu un plaisir émouvant comme la chasse, elle amènerait la dépense d’un fusil, d’un chien ; ils préférèrent le fatiguer, et entreprirent des courses dans la campagne.

Le gamin leur échappait, bien qu’ils se relayassent : ils n’en pouvaient plus, et, le soir, n’avaient pas la force de tenir le journal.

Pendant qu’ils attendaient Victor ils causaient avec les passants, et, par besoin de pédagogie, tâchaient de leur apprendre l’hygiène, déploraient la perte des eaux, le gaspillage des fumiers, tonnaient contre les superstitions, le squelette d’un merle dans une grange, le buis bénit au fond de l’étable, un sac de vers sur les orteils des fiévreux.

Ils en vinrent à inspecter les nourrices et s’indignaient contre le régime de leurs poupons ; les unes les abreuvent de gruau, ce qui les fait périr de faiblesse ; d’autres les bourrent de viande avant six mois et ils crèvent d’indigestion ; plusieurs les nettoient avec leur propre salive, toutes les manient brutalement.