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son père et qu’elle vînt de mourir, le bonhomme en pleura.

Puis, cherchant à excuser Victor, il allégua l’opinion de Rousseau : « L’enfant n’a pas de responsabilité, ne peut être moral ou immoral. »

Ceux-là, suivant Pécuchet, avaient l’âge du discernement, et ils étudièrent les moyens de les corriger. Pour qu’une punition soit bonne, dit Bentham, elle doit être proportionnée à la faute, sa conséquence naturelle. L’enfant a brisé un carreau, on n’en remettra pas : qu’il souffre du froid ; si, n’ayant plus faim, il demande d’un plat, cédez-lui ; une indigestion le fera vite se repentir. Il est paresseux, qu’il reste sans travail : l’ennui de soi-même l’y ramènera.

Mais Victor ne souffrirait pas du froid, son tempérament pouvait endurer les excès et la fainéantise lui conviendrait.

Ils adoptèrent le système inverse, la punition médicinale, des pensums lui furent donnés, il devint plus paresseux ; on le privait de confitures, sa gourmandise en redoubla. L’ironie aurait peut-être du succès ? Une fois, étant venu déjeuner les mains sales, Bouvard le railla, l’appelant joli cavalier, muscadin, gants jaunes. Victor écoutait le front bas, blêmit tout à coup, et jeta son assiette à la tête de Bouvard ; puis, furieux de l’avoir manqué, se précipita sur lui. Ce n’était pas trop que trois hommes pour le contenir. Il se roulait par terre, tâchant de mordre. Pécuchet l’arrosa de loin avec une carafe d’eau ; de suite, il fut calmé, mais enroué pendant deux jours. Le moyen n’était pas bon.

Ils en prirent un autre : au moindre symptôme