Page:Flaubert - Bouvard et Pécuchet, éd. Conard, 1910.djvu/332

Cette page a été validée par deux contributeurs.

et une heure après, assis devant un feu de broussailles, il lisait le Curé Meslier. Ces négations lourdes le choquèrent ; puis, se reprochant d’avoir méconnu peut-être des héros, il feuilleta, dans la Biographie, l’histoire des martyrs les plus illustres.

Quelles clameurs du peuple, quand ils entraient dans l’arène ! et si les lions et les jaguars étaient trop doux, du geste et de la voix ils les excitaient à s’avancer. On les voyait tout couverts de sang, sourire debout, le regard au ciel ; sainte Perpétue renoua ses cheveux pour ne point paraître affligée. Pécuchet se mit à réfléchir. La fenêtre était ouverte, la nuit tranquille, beaucoup d’étoiles brillaient. Il devait se passer dans leur âme des choses dont nous n’avons plus l’idée, une joie, un spasme divin ! Et Pécuchet, à force d’y rêver, dit qu’il comprenait cela, aurait fait comme eux.

— Toi ?

— Certainement.

— Pas de blague ! Crois-tu, oui ou non ?

— Je ne sais.

Il alluma une chandelle ; puis ses yeux tombant sur le crucifix dans l’alcôve :

— Combien de misérables ont recouru à celui-là !

Et après un silence :

— On l’a dénaturé ! c’est la faute de Rome : la politique du Vatican !

Mais Bouvard admirait l’Église pour sa magnificence, et aurait souhaité au moyen âge être un cardinal.

— J’aurais eu bonne mine sous la pourpre, conviens-en !