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sans baptême, ces enfants créés par Dieu, et dans quel but ? pour les punir d’une faute qu’ils n’ont pas commise !

— Telle est l’opinion de saint Augustin, ajouta le curé, et saint Fulgence enveloppe dans la damnation jusqu’aux fœtus. L’Église, il est vrai, n’a rien décidé à cet égard. Une remarque pourtant : ce n’est pas Dieu, mais le pécheur qui se damne lui-même, et l’offense étant infinie, puisque Dieu est infini, la punition doit être infinie. Est-ce tout, monsieur ?

— Expliquez-moi la Trinité, dit Bouvard.

— Avec plaisir. Prenons une comparaison : les trois côtés du triangle, ou plutôt notre âme, qui contient : être, connaître et vouloir ; ce qu’on appelle faculté chez l’homme, est personne en Dieu. Voilà le mystère.

— Mais les trois côtés du triangle ne sont pas chacun le triangle ; ces trois facultés de l’âme ne font pas trois âmes, et vos personnes de la Trinité sont trois Dieux.

— Blasphème !

— Alors il n’y a qu’une personne, un Dieu, une substance affectée de trois manières !

— Adorons sans comprendre, dit le curé.

— Soit, dit Bouvard.

Il avait peur de passer pour un impie, d’être mal vu au château.

Maintenant ils y venaient trois fois la semaine, vers cinq heures, en hiver, et la tasse de thé les réchauffait. M. le comte, par ses allures, « rappelait le chic de l’ancienne cour » ; la comtesse, placide et grasse, montrait sur toutes choses un grand discernement. Mlle Yolande, leur fille, était « le