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Les deux pèlerins flânaient sans rien choisir. Des remarques désobligeantes s’élevèrent.

— Qu’est-ce qu’ils veulent, ces oiseaux-là ?

— Ils sont peut-être des Turcs !

— Des protestants plutôt !

Une grande fille tira Pécuchet par la redingote ; un vieux en lunettes lui posa la main sur l’épaule ; tous braillaient à la fois ; puis, quittant leurs baraques, ils vinrent les entourer, redoublaient de sollicitations et d’injures.

Bouvard n’y tint plus.

— Laissez-nous tranquilles, nom de Dieu !

La tourbe s’écarta.

Mais une grosse femme les suivit quelque temps sur la place et cria qu’ils s’en repentiraient.

En rentrant à l’auberge, ils trouvèrent, dans le café, Gouttman. Son négoce l’appelait en ces parages, et il causait avec un individu examinant des bordereaux sur la table devant eux.

Cet individu avait une casquette de cuir, un pantalon très large, le teint rouge et la taille fine malgré ses cheveux blancs, l’air à la fois d’un officier en retraite et d’un vieux cabotin.

De temps à autre, il lâchait un juron, puis, sur un mot de Gouttman dit plus bas, se calmait de suite, et passait à un autre papier.

Bouvard qui l’observait, au bout d’un quart d’heure s’approcha de lui.

— Barberou, je crois ?

— Bouvard ! s’écria l’homme à la casquette.

Et ils s’embrassèrent.

Barberou, depuis vingt ans, avait enduré toutes sortes de fortunes.