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écrase ? et de commettre une action ne nuisant à personne ? Si elle offensait Dieu, aurions-nous ce pouvoir ? Ce n’est point une lâcheté, bien qu’on dise, et l’insolence est belle de bafouer, même à son détriment, ce que les hommes estiment le plus.

Ils délibérèrent sur le genre de mort.

Le poison fait souffrir. Pour s’égorger, il faut trop de courage. Avec l’asphyxie, on se rate souvent.

Enfin, Pécuchet monta dans le grenier deux câbles de la gymnastique. Puis, les ayant liés à la même traverse du toit, laissa pendre un nœud coulant et avança dessous deux chaises pour atteindre aux cordes.

Ce moyen fut résolu.

Ils se demandaient quelle impression cela causerait dans l’arrondissement, où iraient ensuite leur bibliothèque, leurs paperasses, leurs collections. La pensée de la mort les faisait s’attendrir sur eux-mêmes. Cependant ils ne lâchaient point leur projet, et, à force d’en parler, s’y accoutumèrent.

Le soir du 24 décembre, entre dix et onze heures, ils réfléchissaient dans le muséum, habillés différemment. Bouvard portait une blouse sur son gilet de tricot ; et Pécuchet, depuis trois mois, ne quittait plus la robe de moine, par économie.

Comme ils avaient grand’faim (car Marcel, sorti dès l’aube, n’avait pas reparu), Bouvard crut hygiénique de boire un carafon d’eau-de-vie, et Pécuchet de prendre du thé.

En soulevant la bouilloire, il répandit de l’eau sur le parquet.