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domicile avivait leur chagrin par des irritations quotidiennes.

Pour se remonter, ils se faisaient des raisonnements, se prescrivaient des travaux, et retombaient vite dans une paresse plus forte, dans un découragement profond.

À la fin des repas, ils restaient les coudes sur la table, à gémir d’un air lugubre. Marcel en écarquillait les yeux, puis retournait dans sa cuisine, où il s’empiffrait solitairement.

Au milieu de l’été, ils reçurent un billet de faire part annonçant le mariage de Dumouchel avec Mme veuve Olympe-Zulma Poulet.

— Que Dieu le bénisse !

Et ils se rappelèrent le temps où ils étaient heureux.

Pourquoi ne suivaient-ils plus les moissonneurs ?

Où étaient les jours qu’ils entraient dans les fermes, cherchant partout des antiquités ? Rien, maintenant, n’occasionnerait ces heures si douces que remplissaient la distillerie ou la littérature. Un abîme les en séparait. Quelque chose d’irrévocable était venu.

Ils voulurent faire, comme autrefois, une promenade dans les champs, allèrent très loin, se perdirent. De petits nuages moutonnaient dans le ciel, le vent balançait les clochettes des avoines, le long d’un pré un ruisseau murmurait, quand tout à coup une odeur infecte les arrêta, et ils virent sur des cailloux, entre des joncs, la charogne d’un chien.

Les quatre membres étaient desséchés. Le rictus de la gueule découvrait sous des babines bleuâtres des crocs d’ivoire ; à la place du ventre, c’était un