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félicitant de leur indépendance. Le pouvoir du clergé les effrayait.

On l’appliquait maintenant à raffermir l’ordre social. La République allait bientôt disparaître.

Trois millions d’électeurs se trouvèrent exclus du suffrage universel. Le cautionnement des journaux fut élevé, la censure rétablie. On en voulait aux romans-feuilletons. La philosophie classique était réputée dangereuse. Les bourgeois prêchaient le dogme des intérêts matériels et le peuple semblait content.

Celui des campagnes revenait à ses anciens maîtres.

M. de Faverges, qui avait des propriétés dans l’Eure, fut porté à la Législative, et sa réélection au conseil général du Calvados était d’avance certaine.

Il jugea bon d’offrir un déjeuner aux notables du pays.

Le vestibule où trois domestiques les attendaient pour prendre leurs paletots, le billard et les deux salons en enfilade, les plantes dans les vases de la Chine, les bronzes sur les cheminées, les baguettes d’or aux lambris, les rideaux épais, les larges fauteuils, ce luxe immédiatement les frappa comme une politesse qu’on leur faisait ; et en entrant dans la salle à manger, au spectacle de la table couverte de viandes sur les plats d’argent, avec la rangée des verres devant chaque assiette, les hors-d’œuvre çà et là, et un saumon au milieu, tous les visages s’épanouirent.

Ils étaient dix-sept, y compris deux forts cultivateurs, le sous-préfet de Bayeux et un individu de Cherbourg. M. de Faverges pria ses hôtes d’excuser